Il est de ces groupes pour lesquels la simple évocation révèle à elle seule, en un éclair, toute une époque, tout un style, toute une histoire. Yaphet Kotto jouit de cette aura et de ces phrases un peu solennelles qu’on ne peut s’empêcher de dire pour le présenter : il y a eu un avant et un après.
Ebouillanté, malade du monde, Yaphet Kotto entre dans le cortège, en s’arrachant la chemise, le buste offert aux baïonnettes. Le mot d’ordre est affiché : lutter. 2002. La situation est là, alarmante, critique. Bush est au pouvoir et lance sa guerre en Afghanistan suite aux attentats du 11 septembre. Yaphet réplique : "Picking my brain and I still can't find a reason for your war. […]I know your lies. War ". La conclusion du disque est sans équivoque avec la répétition samplée de la phrase : "Bush is a dickhead".
Proche de l’ébullition, débordant et débordé (par l’urgence), Yaphet écrase le bitume sonore, raye les cartes et lève tous les boucliers. "Circumstancial Evidence" éventre les enceintes à grands coups de saturations, tandis que "Status Symbol" et "Inquire Whitin" tracent les contours de l’engagement. Sons et langages unis sous une même bannière. Les mots comme armes, la parole comme offensive.
Côté héritage artistique, Yaphet mêlent le tact de Shotmaker à la colère d’Ampere ou d’Union Of Uranus. Seulement, là où les formations de l’époque vomissaient principalement un râle noir et poisseux, Casey s’oriente vers un timbre plus haut perché, emprunté à la scène émo ("Highly Enlightened"). Sur ces hauteurs ou dans la fange, Syncopated Synthetic Laments For Love Lyrics couvre et découvre, pliant les instruments, cherchant la sonorité qui perce et disperse, avant de tout recentrer pour exploser. De l’école de Saetia pour la manière d’ériger des ponts aux quatre coins des morceaux, Yaphet Kotto donne sans cesse du relief à sa musique, se démarquant par ses enchevêtrements d’arpèges ou ses martèlements de pédale. L’opuscule nous plonge alors dans un univers où tout semble suffoquer, où l’absence d’air exhorte à crier avant qu’il ne soit trop tard. Entrecroisé, soutenu ou recouvert par la voix de Mag plus coreuse, les titres offrent une alternance qui sera la marque du combo. Au bord de la syncope, Yaphet Kotto recherche alors son salut dans des accalmies accablées de mélancolie ("The Weight Of Remorse"). Le double angle d’attaque vocale permet alors d’écouler la palette des émotions, fait naître les correspondances entre les sensations, laissant l’âme ravagée après l’avoir exhortée à résister. Ce qui était orage n’est dès lors plus que pluie ("Instrumental").
Syncopated Synthetic Laments For Love n’aura probablement jamais d’égal. Il faudra alors sans cesse revenir à lui. Pour entendre le cri de révolte avant qu’il ne se brise, pour entrevoir la beauté perdue au cœur des lamentations, pour retrouver la force de haïr et le pouvoir d’aimer.
A écouter : Pour entendre le cri de r�volte avant qu�il ne se brise