A l’origine de l’un des albums les plus passionnants et essentiels de l’histoire de la musique pop avec Yankee Hotel Foxtrot (2002), Wilco a réussi à concilier un succès critique rarement démenti et une popularité dépassant l’étiquette « branchée » dont l’on affuble tous les groupes qui tentent de faire déborder leur musique de la case dans laquelle l’industrie musicale les a proprement rangés.
La conséquence d’un coup de force comme celui de Yankee Hotel Foxtrot (disque pourtant rejeté par le label Reprise et finalement sorti l’année suivante chez Nonesuch) est l’attente, souvent démesurée et déraisonnable, autour du groupe. A l’image de son leader Jeff Tweedy, sujet pendant longtemps à des épisodes dépressifs et à l’addiction aux anti-douleurs, Wilco a connu un parcours chaotique qui prend cependant depuis plusieurs albums des allures plus apaisées. Leur dernier effort en date, The Whole Love (2011), s’ouvrait sur le monumental Art of Almost, maelstrom electro-pop-shoegaze qui justifiait à lui seul l’achat du disque et foulait un terrain d’expérimentation qui, malgré le relatif classicisme du reste de l’album, laissait entrevoir de passionnantes perspectives.
L’annonce de l’arrivée de ce Star Wars en téléchargement gratuit (pour une période limitée) fut si surprenante que le premier réflexe de certains, moi le premier, fut de se dire que ces 33 minutes (seulement ?) de musique étaient 1) une collection de démos ou 2) un EP un peu bâclé balancé par-dessus la jambe pour nous faire patienter en attendant un « vrai » album. Réagir de cette façon était manifestement une erreur stupide, tant Star Wars s’avère être un petit bijou.
C’est donc ici que commence véritablement le début d’une chronique que vous attendiez certainement en regardant votre montre depuis trois paragraphes…
En un peu plus d’une minute, l’électrique et déconstruit EKG donne le ton. Wilco va droit au but, taille dans le gras (six des onze morceaux font moins de trois minutes) tout en prenant des directions inattendues et, finalement, réjouissantes. L’on pourrait être tenté de décrire Star Wars comme une synthèse de la carrière du groupe, il ne sonne pourtant à aucun moment comme un simple best-of. Wilco a le don d’envoyer ses chansons dans des dimensions parallèles, noyant ses rengaines folk dans une brume électrique (More…, Random Name Generator, l’émouvante mise en orbite de You Satellite) tout en gardant une efficacité mélodique à toute épreuve (Taste The Ceiling, Where Do I Begin). Les expérimentations et arrangements sont pertinents et enrichissent les morceaux de textures donnant de l’épaisseur à une production très lo-fi (Pickled Ginger, Cold Slope).
Quand le chant de Jeff Tweedy prend de nets accent « dylaniens » sur The Joke Explained, c’est pour nous confirmer qu’il n’est toujours pas dupe au sujet du monde qui l’entoure (« If I had known, I would have never believed »). En effet, s’il est manifestement dans un bien meilleur état psychologique qu’à l’orée des années 2000, Tweedy continue à s’interroger sur sa relation au monde, sur sa perception de la réalité (« I was on the ceiling and I swore it might be true ») et, évidemment, sur l’angoisse de la séparation, thème récurrent dans ses textes (« I've come all this way to hold your hand, I became a calendar while I was waiting »). L’album s’achève sur le magnifique Magnetized, ode apaisée et presque optimiste sur l’acceptation de cette séparation malgré un lien impossible à rompre avec l’être aimé (« I sleep underneath a picture that I keep of you next to me, I realize we're magnetized »).
Toujours sur le fil et constamment à deux doigts de basculer du côté obscur, Wilco nous démontre que la Force reste, encore et toujours, de leur côté. Star Wars est un disque sincère, spontané mais abouti, présenté par Jeff Tweedy comme un cadeau aux fans, « une surprise agréable ». On ne peut que lui dire merci.
A écouter : Tout ! Vous avez bien 33 minutes quand même ?