Difficile de nos jours de tomber sur un disque dont on peut dire qu'on avait rarement, voire jamais, entendu quelque chose d'identique. The Agent That Shaped The Desert fait pourtant parti de ceux-là.
Construit en deux parties séparées d'un interlude instrumentale (Furnace Creek), il déroule l'alchimie très spéciale qu'a réussi à synthétiser Virus dans un premier « mouvement » - si on me permet l'expression pompeuse - énergique, rock et dur, puis une seconde partie plus mélancolique et étrange. Cette alchimie consiste en la rencontre complémentaire d'une guitare dissonante typé Noise-Metal, une basse aux accents prog/fusion dont le groove doux mène sur la plupart des pistes une mélodie totalement indépendante, le tout dompté par une batterie à laquelle le jeu de cymbales et les changements de rythmes donnent une couleur jazz très prononcée. De quel groupe rapprocher Virus ? C'est presque impossible à dire car hormis son ancêtre direct Ved Buens Ende, la concoction norvégienne ne se rapproche de presque rien de déjà entendu. On peut toujours citer Unsane pour la rencontre Noise/Metal ou Ephel Duath , Shining pour la collision Metal/Jazz/Noise, mais les rapprochements s'arrêtent aux mélanges de styles. La seule influence clamée par le groupe reste Voïvod.
Mais bien qu'élevés au Thrash (le guitariste fait d'ailleurs parti d'Aura Noir), rien ici ne s'en rapproche. Seuls les résidus d'ADN Black Metal du groupe sont décelables dans le riff d'entrée du morceau-titre, The Agent That Shaped The Desert qui introduit l'album. Une rythmique rapide qui s'enchaîne si logiquement avec Continental Drift, la piste suivante, qu'elles sembleraient n'en être qu'une seule, fractionnée par un silence. Encore résolument rock, ces deux pistes laissent traîner une forte odeur noise par la dominance des riffs de guitare et leur répétition obstinée. Cette entrée en matière permet au groupe d'installer une ambiance qui a quelque chose de Black Sabbath dans le sens où son style baroque et sombre diffuse une atmosphère inquiétante, comme une brume de nuit s'écoulant lentement dans un cimetière, hypnotisant suffisamment l'auditeur pour qu'il continue à s’avancer malgré une menace planante. Une atmosphère qui se prolonge sur Red Desert Sand, mais interrompue par Chromium Sun, avec sa rythmique presque sautillante qui instaure un décalage étrange avec l'imprécation vocale de Czral tel un prophète de mauvaise augure.
Passé l'interlude, le début de Dead Cities Of Syria (au titre tristement annonciateur au regard de l'actualité) témoigne du caractère bien plus instrumental de cette deuxième partie. Le chant y est traité de façon moins « rock », les paroles ne font plus office de fil conducteur au morceau, elles sont présentes ici comme on y ajoute une nouvelle portion au même titre qu'un solo. Comme dit plus haut, dans l'atmosphère étrange, la sensation d'inconfort laisse le pas sur une certaine mélancolie qui semble unir Dead Cities Of Syria et Where the Flames Resides au même titre que le duo d'entrée The Agent.../Continental Drift l'était par son caractère rock. Et commencé en fanfare, The Agent...se termine également en fanfare par Parched Rapids et Call Of The Tuskers où Virus fait montre d'une grande maestria instrumentale quasi prog rock. La dernière, particulièrement, détonne dans cet album par sa guitare presque douce et ses chœurs clairs et éthérées qui viennent donner des airs de Devin Townsend à cette conclusion.
S'il ne marque pas de changement dans la discographie de Virus, The Agent That Shaped The Desert poursuit cette œuvre singulière commencée avec Ved Buens Ende avec la même réussite. Pas vraiment métal, pas tout à fait expérimental et pas rock non plus, il réussit le tour de force d'être suffisamment sombre et dissonant pour avoir un pied dans la musique de chevelus de haute volée en se laissant suffisamment apprivoiser par un public pas forcément rompu aux recherches musicales trop personnelles.
A écouter : au moins une bonne dizaine de fois