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Biographie
Ventura est un trio de Giez-sur-Lausanne (Suisse) créé en 2002 et formé d'ex Illford et Iscariote dévoués à la cause de l'indie rock aux accents noise. En 2005 le groupe sort 2 split 10" sur Get A Life Records avec Cortez (chronique) et Disco Doom. Ventura participe également à la BO du film Rollow de Emmanuelle Antille avant la sortie de Pa Capona, premier album en 2006. On attendra quatre ans pour voir le deuxième album débarquer, We Recruit, qui concrétise les intentions du trio, et seulement trois ans pour écouter son successeur, Ultima Necat, pondu en 2013, suivi de près du 7" Ananasses à l'artwork savoureux, le tout abrité par Africantape et Vitesse Records. Six ans et un changement de batteur plus loin Ventura sort son quatrième album, Ad Matres, une nouvelle fois produit par Serge Morattel.
Souvenons-nous, les singes détendus dans les sources chaudes, Ultima Necat, ce vénéneux et puissant précieux s’offrait en 2013 à nos oreilles, encore aujourd’hui endolories par la marque profonde qu’il a laissé. Un album hanté qui nous permettait d’affirmer que Ventura est de ceux qui n’ont pas d’équivalent, de ceux qui ont ce qu’on appelle un "truc en plus", un supplément d'âme.
Depuis les suisses se sont évaporés, retranchés dans les ombres, histoire de bien préparer l’objet suivant, Ad Matres, "mourir" au féminin. Une préparation qui ne s’est pas faite sans un changement de batteur (Mike Bedelek par Grégoire Quartier de Cortez), ne bouleversant pas les intentions du trio, qui creuse un peu plus sa caverne de la mélancolie tendance dépression. Les murs sont grignotés par la matière noire, l’ambiance est désabusée, tendue, infiniment triste, et l’éternel Serge Morattel aux manettes s’évertue à faire en sorte que la moindre goutte de sueur nous éclate à la gueule. Ainsi l’instrumental Acetone, sous les faux airs d’un Slint en colère, reprend le flambeau du désespoir de manière un brin plus abrasive, guidant ce qui suit vers l’abîme tourmenté, immergé dans une purée de pois camouflant nos repères.
Alors on avance, un pas après l’autre, on se cogne et on trébuche parfois, sans jamais vraiment tomber, coincé entre shoegaze et bruit élégant, au milieu d’une grisante mélasse de laquelle il devient compliqué d’en extraire un titre plus qu’un autre. Ce bloc de substance mi-liquide mi-solide s’étale pour laisser échapper une voix plus grave et fatiguée, ou une basse granuleuse et des guitares qui froissent la tôle (To Stand No One Has), la batterie veillant à nous maintenir à flot via des frappes qui alternent le souple et le sec. Les cordes sont fragiles, donnent la sensation qu’elle peuvent se briser à tout moment autant qu’elles administrent moult détails mélodiques, susceptibles de nous faire fondre en larmes d’amertume, ou de nous inviter à danser en grinçant des dents (The Pioneer (Song for Bertrand)). Alors on évacue la chose tant bien que mal, les pieds fixés dans la vase, l'espoir d'amour, la peur au ventre.
Bien que six ans se soient écoulés depuis Ultima Necat, Ventura fait comme si de rien n’était et continue de traîner sa misère en enfonçant le doigt un peu plus loin dans la plaie. La souffrance, la maladie ou la tristesse sont autant d’éléments qui composent un Ad Matres pas du tout sexy, mais terriblement sensible, et donc indispensable.
A écouter : avant de mourir.
Ventura s'offre le parcours rêvé d'une discographie sans faille. Avec son 3ème album, Ultima Necat, les Suisses flirtent à nouveau avec l'Indie Noise qui a su les imposer discrètement et dont ils ne se sont jamais détournés, initié sur les 2 premiers Splits et approfondi sur Pa Capona puis We Recruit.
Ultima Necat, du latin "La Dernière Tue", est un titre trompeur. Sans se limiter en une seule compo, Ventura démontre son talent sur l'intégralité des 9 titres, des 11 minutes de "Amputee" au captivant "Body Language". Rien ne dépareille, ne ternit l'aura qui se dégage de ce LP et ce sont les mêmes éléments qui caractérisaient Pa Capona ou We Recruit que l'on retrouve ici.
On pensait, lorsque l'on écoutait pour la première fois Pa Capona, à Slint ou Fugazi. C'est toujours le cas, mais l'identité de Ventura est forte : le chant ne hausse jamais le ton, tandis que les cordes vibrent jusqu'à faire s'effondrer les derniers remparts de la volonté (l'ensorcelant "Amputee"). Car c'est bien là ce qui permet à Ventura de toujours rester au top, cette sensation de toujours se renouveler sans pourtant changer la méthode initiale.
On pourra noter le très bon "Nothing Else Mattered", un brin 90's sans autant être passéiste ou avoir d'air de "déja entendu", qui amorce le tube "Body Language" et succède à l'époustouflant "Little Wolf". La mélancolie est de mise, la fragilité également, mais pourtant tout ceci vient sans désespoir, plutôt avec une douceâtre résignation. Tout prend finalement sens sur "Amputee" : ce que l'on cherchait depuis tout un temps, ce qui frémissait sur We Recruit, cette amère volupté dont le parfum se transforme en essence de sensations. Un régal.
Il n'y a rien à dire de plus au final. Ceux qui ont aimé les précédents opus seront enchantés par Ultima Necat, parce qu'il ressemble vaguement aux sorties antérieures mais n'en a heureusement pas tous les traits. On résumera Ultima Necat en ce qu'il est : un putain d'album, avec un trio toujours capable de livrer des mélodies fraîches et saisissantes.
Une tuerie.
A écouter : Tout, sans hésitation !
Un rapide coup d'oeil sur le site web de ces anciens Illford, Shovel et Iscariote nous apprend que "Pa Capona" signifie en patois Saviésan "Ne pas baisser les bras". A n'en pas douter, le trio helvète s'est efforcé d'appliquer ce précepte, car au bout de 4 ans d'existence arrivent enfin les premièrs disques et surtout ce premier album, véritable aboutissement des efforts de Ventura.
Les deux excellents morceaux du split avec Cortez laissaient entrevoir une tendance à cultiver les assauts bruitistes et écorchés autant que les atmosphères mélancoliques ("I Keep Starting") à travers un indie rock épais et puissant. Sur la même longueur d'onde, les 13 titres de Pa Capona distribuent autant de baffes que de caresses et entrevoient aussi bien l'énergie brute des guitares grasses et incisives que l'efficacité des mélodies classieuses et évidentes. Si on peut légitimement s'aventurer à quelques comparaisons comme Slint et Fugazi ("Violent, All The Time") pour l'aspect bondissant, le songwritting sans fioriture et le malaise quasi permanent ou Dinosaur Jr pour la violence des parties noise, Ventura propose une réelle alternative, voire même une des meilleures depuis un moment dans le genre. Ventura met en avant un talent de composition bluffant qui, évitant les répétitions et autres essorages de recettes bien connues, mise sur une efficacité sans temps mort. A l'image des distorsions électriques du fabuleux "Limits" ou de la rythmique tragique de "Let Yourself go", chaque titre fourmille de trouvailles qui renouvellent l'intérêt à chaque instant. Capable de la plus grande finesse comme des dégringolades sonores les plus inattendus, Ventura donne le tournis, mais pas celui qui endort l'esprit, celui qui le fait pétiller de milles feux ! Quant au chant, tendu et soutenu par un grain très particulier, son adaptation à chaque situation lui permet d'insuffler une véritable âme sans trop habiter les compositions. Au final, même si on a un peu tendance à se rabattre sur les titres les plus "tubesques" ("Limits", "Thouhts and speeches"), les suisses réalisent un beau carton plein.
Présenté dans un beau digipack et servi par une production typée "live" taillée pour la course, Pa Copona est un premier album étincelant, efficace et très personnel qui saura faire son trou sans difficulté chez les amateurs d'indie-rock noisy de haute volée.
A écouter : Limits - Back to Sender - Let yourself go - Thoughts and speeches
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