Eparitera Daimones était attendu, c’est le moins qu’on
puisse dire. Premier album de Triptykon, le nouveau groupe de Thomas Gabriel
Fischer, et suite (indirecte) de Monotheist quatre ans après sa sortie. En
2010, les Suisses avaient semble-t-il su répondre à leur cœur de cible en
servant une œuvre variée, à la hauteur de son principal géniteur et de sa
réputation.
Sans trop de surprise, Melana Chasmata baigne encore dans
cette atmosphère sombre si particulière où les branches de l’Extrême convergent
pour aboutir à ce que certains appelleraient « Dark Metal », rehaussé
par une touche Psyché. Tout comme son prédécesseur, l’opus est dominé par une
dynamique Doom, aux tempos lourds et à la cadence écrasante, sans être
étouffante. Car Triptykon met un point d’honneur à conserver ce feeling
gothique, glacial, livrant des images désertiques et nocturnes à travers les
échos et la reverb. Une approche du mix apportant un contraste intéressant avec
ce Groove ras du plancher.
De ce rendu aéré se dégage tout de même une aura malfaisante où se côtoient l’ambiance
du Black et la vivacité du Death et du Thrash (« Breathing »),
terrain de jeu des vocalises presque incantatoires de Fischer. Le ton est
sinistre, austère, le leader embrasse un large spectre sonore et envahit les
tympans de son auditoire à force de murmures rauques et de ces cris reconnaissables
entre mille. La messe noire résonne, et le groupe y confère une dimension occulte
et rituelle que l’on ressent sur chaque piste, renforcée de ces quelques chants féminins qui apportent une nuance plus lumineuse,
sur « Waiting » notamment.
Connu pour son avant-gardisme et sa créativité prolixe, l’ex-Celtic
Frost se réapproprie cependant les codes qui ont fait le succès de la première
sortie de la formation, en ce qui concerne son identité sonore en tout cas.
Melana Chasmata se focalise davantage sur les ambiances et le ressenti qu’elles
procurent, délaissant quelque peu la violence lâchée sur les neuf pistes de Eparitera
Daimones. Le cru 2014 s’offre de rares envolées musclées et rapides qui nous
extirpent du mid-tempo (« Tree Of Suffocating Souls », « Breathing »),
choix qui décevra peut-être les plus avides du martelage compulsif auquel s’adonnait
le groupe quatre ans plus tôt avec talent. L’ensemble sonne plus lisse et
monolithique, peut-être même moins audacieux que par le passé, même s’il reste
bien exécuté et travaillé avec soin. Il est parfois difficile de distinguer
clairement les morceaux (« Altar Of Deceit »&« In The
Sleep Of Death » par exemple, où tonne malgré tout un puissant orage Doom)
et certains admirateurs resteront sans doute sur leur faim. Ce virage plus lent
parvient tout de même à proposer de bonnes choses, comme ce « Demon Pact »
et ses aigus à vous glacer le sang, ou bien la très bonne montée progressive de
« Aurorae » d’où résulte un final mélodique à dominance instrumentale,
sans agressivité et très réussi. Pas de doute, le génie est toujours là, mais a
pris une tournure différente.
Triptykon continue d’explorer les méandres de son propre
univers musical, et témoigne avec cet album d’une étape plus calme, où l’attention
que l’on prêtera aux morceaux jouera beaucoup. Melana Chasmata se montre moins
immédiat et accrocheur que son aîné mais ravira sans nul doute les adeptes d’un
Metal aux contours flous où cèdent les barrières entre les genres.