Tu te souviens sans aucun doute de cette époque où Four Minute Mile est arrivé jusque dans tes frêles oreilles duveteuses ? Ou bien peut-être de ces moments comme suspendus marqués par des titres comme "Little League" et "Never Meant", qui sont venus bousculer ton petit monde intérieur et éclairer quelque part dans un coin de ton crâne une parcelle infinie de liberté ? C’était le temps de l’insouciance et des disques rayés qu’on usait jusqu’à plus soif, sans dire mot. Aujourd’hui tu leur trouves sûrement une tonne de petits défauts à ces vieilles galettes. Pourtant, elles te paraissent toujours aussi parfaites. Et quand t’as envie de tout envoyer bouler et que t’as cette putain d’impression d’être à côté de la plaque, il te reste sur une étagère poussiéreuse les albums de The Promise Ring, American Football, Engine Down et Cursive. Tu sais, pas très loin de tes disques durs goulûment remplis de mp3 dont tu n’écouteras vraisemblablement jamais plus de la moitié.
15 ans plus tard, tu as aussi le choix de ce quintet de Pennsylvanie, qui de toute évidence a aussi beaucoup fait tourner The Get Up Kids et même peut-être des choses comme Weezer. Quoi qu’il en soit, c’est littéralement la larme à l’œil que se clôture la découverte de ce premier disque de Tigers Jaw, initialement sorti en 2008 chez (les défunts ?) Prizon Jazz Records. Ecouter ce disque revient à arpenter presque 10 années de midwest-emo, dans ce que le genre a su proposer de plus inspiré. Mélodies à la beauté affable tout juste imparables, sprints punk-rock enivrants, clavier discret mais dosé au milligramme, filigrane mélancolique ineffable, mais surtout ce tact éblouissant pour tout catalyser vers un faisceau à la fois versatile et indicible. C’est aussi ce songwritting remarquable qui vient sublimer l’inévitable naïveté des textes, chantés avec ce qu’il faut de conviction, dans un océan où se rencontre les profonds aplats étincelants et les rouleaux écumeux des guitares. Bref, ce premier jet à la fraîcheur inaltérable, un peu en marge du revival emo de ces dernières années, car les racines plantés dans un terreau immensément plus nuancé, est un coup parfait qui méritait bien sa réédition chez Run For Cover Records, avec un visuel qui incite allègrement au partage.
Par la suite Tigers Jaw sortira un excellent EP, Spirit Desire, sur le tout aussi excellent label Tiny Engines Records (Wavelets, State Faults), dans lequel leurs compositions gagnent en classe et en personnalité en se détachant de leurs influences et en proposant des textes autrement plus matures. Quant à Two Words, leur deuxième album sorti en 2010, il accentue encore ce schéma et cette volonté d’aller de l’avant, toujours.
A écouter : The Sun - Plane Vs Tank Vs Submarine - I Saw Water