The Queen Is Dead personnifie l'esthétique de la Pop, aux côtés de quelques disques majeurs des 60's et des 70's. Car, autant être franc dès l'introduction, cette œuvre est probablement l'une des plus importante et marquante des 80's. The Smiths, c'est avant tout un mythe Outre-Manche que rien n'aura su briser ni même entacher, pas même la personnalité de Morrissey, bien au contraire. C'est aussi un groupe de musiciens qui vont (re)définir le Rock Indépendant pour les trente années à venir et peut être même plus. Pierre angulaire de leur carrière, cet album occupe la même place que Revolver au sein de la discographie des Beatles. Enfin, c'est un engouement populaire massif qui aurait pu l'enchaîner au statut de groupe à la mode des années 80.
Or, comme toutes les grandes œuvres, The Queen Is Dead est intemporelle et le temps n'a que peu d'empreinte sur lui. Bien sûr, on pourra aisément entendre ce son de batterie si typique de la décennie qui l'a vu naître, ces guitares « jangly » que les groupes de la vague « C86 » utilisaient mais ce serait s'arrêter à la matière première. Qui porte la moindre attention à l'encre qu'a utilisé le Caravage ? Comme ce dernier, The Smiths vont peindre un tableau de lumière et de ténèbres, sublimer la vie quotidienne et sa morosité, rendre plus humain ce qui est intouchable. « Some Girls Are Bigger Than Others » est un exemple parfait de ce dernier point, Morrissey fait appel au mythe d'Antoine et de Cléopâtre, les humanise, permet à l'auditeur de se reconnaître tandis qu'il dépeint le général romain comme un amateur de bière. Car le chanteur écrivain est certainement le point sur lequel convergent tous les regards et notre entière attention. Les paroles sont ironiques, intelligentes, souvent piquantes mais délicieuses. Qu'il ridiculise la reine, ses propres talents de vocaliste ou Geoff Travis (le patron de leur label, Rough Trade), rien n'est jamais vulgaire mais toujours insultant, si proche de l'image que l'on se fait des Anglais et qu'ils se font d'eux. Véritable ode à la culture britannique, les paroles en font désormais partie et l'incroyable ligne d'ouverture de « There Is A Light That Never Goes Out » n'y est pas pour rien.
Si le fond est important, la forme n'est jamais secondaire lorsque l'on s'intéresse à une œuvre musicale. Mettant en voix ses propres vers, Morrissey livre une performance remarquable dans le sens premier du terme tant il sera difficile de passer à côté de ses talents et de l'humanité de son chant. Si proche de l'auditeur et pourtant si loin puisqu'ici rien n'est simple, le chanteur maîtrisant à la perfection chaque note, chaque respiration, chaque falsetto faussement décontracté. Johnny Maar s'occupe quant à lui de sublimer chaque minute, chaque seconde, grâce à des envolées mélodiques et des riffs étincelants. Véritablement brillant, le musicien réussit le tour de force de se réinventer à chaque piste, venant au premier plan et disparaissant au gré des besoins des compositions. Comment ne pas tomber amoureux de cette piste magnifique qu'est « Bigmouth Strikes Again » tandis que Morrissey nous parle de son envie de casser les dents de sa dulcinée ? Le duo se cherche sur toute la durée du disque, s'embrasse, se déteste, s'évite, se retrouve et l'alchimie est indéniablement présente. Cette force créatrice est maintenue par une session rythmique solide, précise, souvent en retrait mais jamais timide, le véritable bijou secret du groupe. Aisément survolé, le jeu des deux musiciens est riche, tout en sobriété et en finesse comme le montre « Never Had No One Ever ».
Mais le plus grand exploit de The Smiths est de créer une œuvre intemporelle. Le fonds tout comme la forme tendent vers le même but : créer un sentiment d'universalité malgré le « britannisme » qui transpire de tous les pores du disque. L'emphase mise sur les mélodies riches et originales de chaque composition, la capacité de Morrissey à rendre plus beau et dans le même temps plus humain chaque thème abordé ainsi que la complémentarité de chaque personnalité artistique implique que le tout est plus que la somme des parties. Chaque élément décris ici l'est séparément et ne peut donc rendre compte que d'une partie de l'expérience vécue par l'auditeur. Or, c'est bien là la force d'une œuvre universelle, elle se vit et se ressent, n'est pas rationnelle mais fait appel à l'ensemble des sentiments qui nous animent, ont animé ces artistes et animeront ceux qui la contempleront.
A écouter : Partout, tout le temps.