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Biographie
Alexander Von Meilenwald est The Ruins of Beverast. The Ruins of Beverast est Alexander Von Meilenwald. Batteur de feu-Nagelfar, l'homme se lance en 2003 dans une exploration en solo du Black Metal avec un goût prononcé pour l'expérimentation. Quelques interviews ici et là, pas de site internet, pas de myspace, The Ruins of Beverast est un projet discret. Pourtant, en 2010, le projet déjà accouché de plusieurs collaborations et de trois albums studio remarquables dont le dernier en date, Foulest Semen Of A Sheltered Elite, qui a vu le jour fin Août 2009. Toujours aussi discret, l'homme semble néanmoins sortir peu à peu de sa coquille au point de s'entourer et de se produire sur scène en 2013. Une année qui le voit, outre un passage remarqué au Roadburn Festival, également parachever un quatrième album studio sorti par Van Records: Blood Vaults - The Blazing Gospel Of Heinrich Kramer.
En 2016, Meilenwald sort un EP intitulé Takitum Tootem!, qui contient une reprise surprenante de "Set the Controls for The Heart of the Sun" de Pink Floyd, ainsi qu'une chanson originale qui donne son nom à l'EP, qu'on retrouvera sous une forme différente sur l'album qui suivra. Titré Exuvia, le disque s'éloigne un peu plus du Black au profit du Doom et de sonorités tribales et hypnotiques qu'on peut notamment entendre sur la chanson-titre, longue d'une quinzaine de minutes. Plusieurs tournées suivront, marquées par un nouveau passage au Roadburn pour interpréter Exuvia en entier en 2018. Après deux splits en 2020, sortis respectivement avec Mourning Beloveth et Almyrkvi, The Ruins of Beverast sortira son sixième album le 5 février 2021, toujours chez Ván Records, sous le titre : The Thule Grimoires.
The Thule Grimoires ouvre une brèche vers un passé primitif, nimbé de mystère. Bienvenue sur une terre où une épaisse brume entrave encore le chemin des hommes premiers, celle du surnaturel, de l'inexplicable, de la superstition. C’est dans un tel climat d’incertitude et de menace constante (Deserts To Bind And Defeat) que le one-man band allemand nous plonge, décidément pas à cours d’idées et de références.
Si les penchants Goth du projet n’étaient pas franchement refoulés jusqu’alors, ce disque fait un pas de géant dans cette direction. Bien sûr, le vert très Type O Negative de la pochette ne vous aura pas échappé. Mais l’influence de feu-Peter Steele et sa bande n’est pas simplement graphique : à l’écoute de ce sixième album, on pourra aisément imaginer une partie fine entre Type O Negative donc, Triptykon et Blut Aus Nord. En ressortent des voix claires en grave qui vont taquiner la Batcave 80 et des guitares clean nourries d’effet chorus, le tout greffé habilement sur la base Black/Doom de The Ruins Of Beverast.
Une matière musicale qui donne libre cours à Alexander von Meilenwald pour manier le clair-obscur. Empoisonnée, l’œuvre de The Ruins Of Beverast flirte avec des enchaînements de notes mélodieuses, tout en s'arrêtant toujours à la lisière de l'harmonie. Comme si un danger guettait constamment. N’allez pas croire que le recours aux voix claires vous protège de l’obscurité, le chant maladif de Kromlech Knell ou les mélopées féminines glaçantes de Anchoress In Furs sauront vous prouver le contraire. Mais la magie opère, les incantations hantées et plombées ne demandent qu’à être rejouées encore et encore. Parfois même, les cieux pourront s’éclaircir (Kromlech Knell), mais ce ne sera que pour mieux vous faire happer à nouveau par la poix environnante.
Diablement immersif grâce à une batterie au son ample et des arrangements qui complètent le décor (claviers, voix secondaires), The Thule Grimoires est traversé par une ambiance fascinante, sans oublier des compos efficaces (la montée toute en tension de Mammothpolis). La maîtrise des dynamiques, l’écriture de morceaux se distinguant bien les uns des autres permettent à The Ruins Of Beverast de nous emporter très loin pendant plus d’une heure. Oserez-vous tenter le voyage ?
A écouter : Mammothpolis
Exuvia. Exuvie en français : l’ancienne peau rejetée par les arthropodes et certains vertébrés après leur mue. Au sortir d’un intense processus créatif long de plus de trois ans, nulle autre métaphore n’a dû sembler suffisamment forte à Alexander Meilenwald pour retranscrire son désir de voir enfin ce cinquième LP de The Ruins of Beverast prendre forme. Toutes proportions gardées, dans une modeste mise en abîme, tel est également le cas de cette chronique, maintes fois pensée, entamée puis mise au rebut. A l’image d’une jolie fille, certaines œuvres vous font perdre vos moyens tant tout ce que vous parvenez à en dire vous semble fade et pas à la hauteur.
Commençons peut-être par ce que n’est pas Exuvia : un concept album autour des peuples natifs d’Amérique du Nord. L’artwork y fait clairement référence, plusieurs morceaux dont l’ouverture intègrent des chants sacrés de shamans amérindiens, mais l’approche d’Alexander Meilenwald n’a strictement rien à voir avec celle de Manuel Gagneux avec Zeal and Ardor. Ici, ces références ne sont finalement qu’une des multiples influences qui se retrouvent intégrées. A titre d’exemple, Surtur Barbaar Maritime prend ainsi appui sur la mythologie germanique pour narrer une bataille eschatologique entre hommes et divinités.
Poursuivant le travail mené depuis Foulest Semen of a Sheltered Elite, The Ruins of Beverast s’emploie minutieusement à réduire à néant une à une les barrières qui enferment parfois le Black dans un espace si étriqué qu’il s’y retrouve menacé par un sérieux risque de consanguinité. Il faut dire qu’à force de brassage, les six pièces d’Exuvia, qui oscillent grossièrement entre 8 et 15 minutes, finissent par désorienter. On se perd alors avec délectation au milieu de ces compositions insaisissable. Évoquer des titres qui font se succéder Growls, Grunts, incantations caverneuse, chant clair féminin et chants sacrés mais qui mélangent également sons électroniques, violons, cornemuse tout en alternant passages écrasants, étouffants et accalmies éthérées peut sembler confiner à l’exercice de style gratuit et élitiste. Il n’en est rien. Morceau après morceau, c’est ce que l’on recherche : se faire surprendre par un clavier à la Cult of Luna, par un changement de rythme, d’atmosphère ou d’intensité. Bref, par tout sauf par ce à quoi on ne s’attendait pas. A aucun moment l’ensemble ne tombe dans une forme de schéma ou ne semble forcer le patchwork. Les sonorités se succèdent, se superposent ou s’imbriquent ou les unes dans les autres. Sous la main de l’alchimiste Alexander Melienwald, ce qui autrement aurait paru contre nature acquiert une certaine grâce. Pas celle, évidente, d’une beauté plastique et calibrée mais celle, plus inconvenante, que pourrait avoir une créature issue d’un Freakshow.
Après de multiples écoutes il faut se rendre à l’évidence : les mots (du moins ceux que je suis capable d’écrire) sont trop faibles pour retranscrire Exuvia. Labyrinthique, psychédélique, hypnotique, halluciné sont autant d’adjectifs qui pourraient être utilisés mais ceux-ci occultent ce qui, peut-être, fait que cet album est particulier : son pouvoir immersif. Pendant plus d’une heure, sa mystique vous extirpe de votre enveloppe charnelle, vulgaire exuvie, et de votre banal quotidien. Etant sorti il y a quelques mois, il est très probable qu’une grande partie d’entre vous l’ait déjà écouté. Si ce n’est pas le cas, vous savez ce qu’il vous reste à faire pour ne pas définitivement passer à côté d’un des grands albums de 2017.
Exuvia s'écoute en intégralité sur bandcamp.
Qu'il ait été drastiquement épuré ou soit resté aussi authentique que désespérément classique, le Black Metal, rejeton dégénéré du Metal Extrême qui semait jadis panique et désolation à sa seule évocation, fait désormais presque peine à voir. Si ses individualités les plus inspirées avaient depuis long intégré de leur propre chef des éléments extérieurs à la mythologie de l'Homme crabe-panda, leurs héritiers se sont laissé bêtement dépouiller d'une identité désormais dissoute aux quatre coins de la carte de l'extrême, et même au delà. La résistance, à défaut d'être organisée ou même revendiquée comme telle était bien active dans les sous-sols (Spektr, Leviathan, Lurker of Chalice, Darkspace, Blut Aus Nord... ou même Walknut dont chacun pensera ce qu'il veut) mais cela n'aura pas suffit. Et le grand épouvantail, à force de devenir tantôt trop hybride, tantôt trop fréquentable, ne fit progressivement plus peur à personne au point de devenir une variable d'ajustement pour groupes en recherche d'un peu de street cred et noirceur. C'est précisément à face à ce constat déprimant que Blood Vaults - The Blazing Gospel Of Heinrich Kramer nouvelle incarnation de l'intelligence musicale d'un artiste hors pair planqué derrière le costume trop étroit de blackeux intransigeant, débarque en contre-argument parfait. Car bien qu'ayant démontré au fil des années que sa musique ne prêchait pour aucune paroisse, Alexander Von Meilenwald fait indéniablement partie, à sa manière, de la frange des irréductibles. Aussi peu dogmatique que terriblement discret, il n'a cessé de naviguer en eaux troubles, y étoffant un univers dense et subtil aussi authentiquement Black Metal qu'atypique au regard de l'évolution du style auquel ses œuvres sont encore rattachées. Puissant, fauve, volatile et évocateur, menaçant sans se priver de nuances, voire sensible ("Malefica"): c'est pourtant à se demander parfois si l'on parle encore bien ici de ce bon vieux Black des familles tant l'emballage, entre Black Cathédrale, Funeral Doom cryptique et Doom Death suffocant se distingue de ce que fut - ou n'est plus vraiment - ce genre que seul l'accordage évoque encore sans détour. Le lapidaire et nauséeux "Ordeal", bien que rassurant sur la filiation du dernier rejeton du one-man band, est trop expéditif en comparaison des morceaux monstres l'entourant pour tromper son monde. Pourtant, par-dessous ce traitement sonore toujours plus hérité de la scène Death Metal, malgré des repères stylistiques globalement absents et ces compositions labyrinthiques - le riffing est à nouveau à se mettre la tête dans mur - la noirceur, l'interdit et l'occulte écrasent Blood Vaults de tout leur poids. Véritable fil conducteur d'une discographie mouvante, cette sainte trinité se voit ici de nouveau consacrée bien plus par le fond que par la forme. On ne distingue plus véritablement les pourtours stylistiques changeants de The Ruins of Beverast depuis maintenant deux disques et c'est donc loin des codes et du cadre classique que tout se joue. Autour d'une identité sonore forte, véritable épave fantôme faisant régner la terreur sur un océan de Black tiède et tristement grisâtre à chacune de ses apparitions. Celle là même qui a laissé tour à tour s'exprimer les accents les plus épiques et hallucinés - évitons le terme psychédélique (Foulest Semen of a Sheltered Elite), noirs et mystiques (Rain Upon the Impure) ou, désormais, morbides du genre en poussant toujours plus loin la (con)fusion entre intentions et concrétisation en superposant les filtres stylistiques. On ne saurait attribuer l'exclusivité de l'ambiance néopaïenne glaciale de "A failed Exorcism" , des digressions tribales incantatoires de "Spires, The Wailing City" ni même des atmosphères follement gothiques d'"Ornaments of Malice" ou du surprenant "Monument" - entre recueillement et épouvante - à une scène en particulier. Toutes ces facettes d'un même disque ne sauraient en revanche être associées à quelqu'un d'autre qu'à Alexander Von Meilenwald. Le seul et unique. Il ne faut néanmoins pas se mentir: le travail d'Alexander Von Meilenwald, aussi hypnotique et captivant soit-il, peut se révéler éreintant. Moins étouffant que son prédécesseur, de montées processionnaires, progressions tourbillonnantes et riffs dantesques en dépressurisations brutales, Blood Vaults reste néanmoins un pavé monumental de près d'une heure vingt. Une œuvre monolithique et revêche dont la profondeur du moindre détail témoigne que chacun a été pensé cent fois, chronophage tant par sa simple durée que par le niveau d'attention qu'elle accapare en raison de sa densité démentielle. Ce n'est qu'à ce prix, que l'univers de The Ruins of Beverast se développe pleinement et se dévoile. Elitiste? Probablement, même si l'on préférera le terme "exigeant", beaucoup mois réducteur et certainement plus proche de la réalité à une époque où la passion semble parfois d'avantage se mesurer en gigaoctets qu'en temps consacré à l'écoute. Les disciples de l’allemand, rompus à l'exercice, trouveront ici une récompense magistrale à la hauteur de leur longue attente, les profanes les plus décidés, peut être, le salut. A vous qui n'êtes pas encore tout à fait prêts, je n'aurai en revanche qu'une recommandation: fuyez, pauvres fous.
A écouter : D'un bloc.
Le monde de l'extrême se porte bien. Ces derniers temps, chaque année voit sortir son lot de prétendants au panthéon des musiques sombres et 2009 n'y aura pas échappé. Ulcerate s'est révélé, Cobalt a enfin explosé, Blut Aus Nord s'est scindé en deux et retrouvé. Cependant s'il ne fallait en retenir qu'un c'est The Ruins of Beverast qui s'imposera. Haut la main.
Le one-man band teuton sévit déjà depuis six ans lorsque Foulest Semen of a Sheltered Elite et son superbe artwork atterrit dans le paysage metallique de l'an de disgrace 2009. Attendu par les initiés, il surprend en revanche les non convertis, moi le premier. Dès les premières écoutes le seul constat est simple au possible: Comment est-il possible d'avoir pu passer aussi longtemps à coté d'un truc pareil? Rendre au Black Metal ce qu'il a perdu de sombre, dérangeant, mystérieux et incantatoire en passant par le terrain détourné d'un style étranger tient de l'audace (et du bon sens, avouons le). Le faire sans se planter comme une grosse buse tient du génie, n'en déplaise à Pyramids. Un grand coup de talon à travers le plancher usé, donwtuned et criard de la vieille fourgonnette black qui laisse une tranchée de cinquante mètres de long: The Ruins of Beverast freine sans assistance, réduit drastiquement la cadence de son plein gré, sans crier gare. Et étoffe le propos. Foulest Semen of a Sheltered Elite c'est du Black à moteur diesel. Gourmand en oxygène, qui met le temps à chauffer, ronronne, capable de démarrer en troisième si on le pousse un peu, qui consomme moins que ses concurents pour des performances équivalentes voire supérieures. La pollution? Peut importe, on cause Black Metal, pas Post Rock. Faut bien que ça soit un minimum néfaste sinon on n'y est plus.
La botte secrète d'Alexander von Meilenwald pour parvenir ici à ce résultat improbable: le Doom, le vrai, pas un truc vaguement lent et triste. L'enfant bâtard du mighty Sabbath, vénéré depuis des générations, repris et massacré mille fois autant qu'élevé à des niveaux d'excellence insoupçonnés par une poignée de formations. Parmis celles-ci: Sleep, maitres parmis les grands, aujourd'hui affairés à une reformation blasphématoire sans Hiakus. Aussi invraisemblable que cela puisse paraitre, ce disque transpire de doom Sleep-ien, de riffs mystiques et lancinants au possible, de rythmiques jouées en apesanteur, lentes et lourdes, faussement languissantes, couplées à une grandiloquence gothique incantatoire de type O negatif (chants clairs caverneux, claviers) dans un univers Black jusqu'à l'os fait de thématiques lugubres, de guerre, et de mort. Car il est bien là l'art noir, surplombant l'ensemble de cette œuvre, étendant son ombre vorace jusqu'aux confins des 79 minutes de cet imposant édifice musical, se rappelant à nous au gré de quelques fulgurances explicites. Les influences dans le genre? On ne lesprésente plus car TRoB les a dépassées. Vous refusez de le croire? Ecoutez ne serait-ce que l'enchainement menant de Mount sinai moloch à Kain's countenance fell et on en reparlera ensuite. Une production mi-claire mi-brute et ces influences extérieures font de Foulest Semen of a Sheltered Elite un disque de Black charnu, fluide, à la progression lente mais headbangant as hell et surtout profondément inquiétant, autre, pétri d'ambiances occultes résultant d'un travail sur les textures sonores et les structures des morceaux extrêmement poussé. Le chant, toujours, élément trop souvent sous-exploité, façonne ici à volonté des tableaux solennels et intrigants que se chargent de parachever guitares opressantes et soli dérangeants au possible. Ce disque ne s'aère jamais vraiment, même sur ses accélérations, se traine comme un damné, écrasé sous son fardeau, charriant son mal-être sur des titres interminables, entretenant ses ambiances sur des interludes Ambient tout aussi peu recommandables. Un album coincé au ras du sol qui mange la poussière plus d'une heure durant et ne laisse entrevoir un peu de lumière que sur les dernières minutes de sa conclusion lancées par un râle Fischer-ien. Inutile de dire que le travail derrière ce numéro d'équilibriste est monumental, surtout réalisé en solo. Si vous remettez la scène on est ici loin, très loin, du solo sur la colline d'Immortal ou, plus généralement du cliché des pandas qui s'entretuent et jouent les cuissardes plantées dans la neige en faisant la grimace.
TRoB parvient, par une pirouette stylistico-temporelle alambiquée, à redonner son essence à un genre fatigué que l'on pensait un peu condamné à s'enfuir vers de nouvelles contrés et à laisser ce qui a fait sa renommée derrière lui sous peine d'être rattrapé par l'ennui. A l'image d'Esoteric qui avait renvoyé la concurrence au rang de simples figurants sur la scène Funeral l'année précédente avec un The Maniacal Vale novateur et jusqu'au-boutiste, Foulest Semen of a Sheltered Elite s'impose comme une des références d'un genre pour lequel le nouveau frisson n'est visiblement plus à chercher depuis longtemps en terres norvégiennes . Masterpiece? Oui, sans aucun doute.
A écouter : Ah... parce qu'il y en encore pour se poser la question?
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