De ces disques qui façonnent la fin du monde, de ces œuvres oppressantes qui mettent le chaos et le désordre en musique, Bloodlines en fait partie. Brad Rose, aka The North Sea en est l'architecte avec ce qui est déjà son troisième disque, plus radical que jamais.
Imaginez une terre meurtrie, balafrée, noyée dans un air rance et vicié, La nature n'a plus sa place ici, c'est tout juste si la lumière filtre à travers d'opaques nuages. Les seuls sons qui demeurent sont ceux du fracas métallique des machines et du souffle du vent poussiéreux, étouffant. C'est ce qu'esquisse à grand trait The North Sea dans ces sept pièces en constante mouvance. Bloodlines en dresse les premiers contours, bruitiste à l'extrême, entre tremblements et bourdonnements Noise qui instaurent déjà ce climat d'effroi, perdu dans le noir le plus total. Missed Court Dates poursuit cette plongée dans des spirales dronisantes sur fond de rotatives funèbres et de fuzz angoissant. Errements.
The North Sea progresse lentement, est un mur difforme, mouvant, instable, fait d'ascendances, d'aspérités cacophoniques et stridentes ou d'agressions sonores parfois violentes et pourtant dans ce déluge bruitiste, un quelque chose ressemblant à une lointaine mélodie, perce à peine à la surface, mais offre un bref répit car Bloodlines se dévoile aussi sous de moments magnifiques et apaisants (Reunion). Save Yourselves traque cette avancée atmosphérique bientôt troublée par des battements et des pulsions électroniques, noyée sous des nappes dissonantes et le bruit des machines. Counting Down The Days, œuvre tortueuse, malsaine, est nourrie de quelques percussions déshumanisées de Mike Weiz (Zelionople) ponctuant parfois ces grésillements redoutables.
Récit contrasté à prendre comme une narration qui comporte un début et une fin, pas seulement comme un succession de pistes, Bloodlines est un disque de sensations, de ressenti, celui qui demande un plein investissement pour en percevoir les émotions dégagées mais aussi pour comprendre son évolution au fur et à mesure des écoutes. De la même manière, il n'évoquera sans doute pas les mêmes choses d'une oreille à l'autre, mais là est son intérêt, que chacun puisse y voir ce qu'il souhaite car l'on sait bien que la peur peut prendre différentes forme selon le sujet...
Adieu les rêveries naturalistes et le psychédélisme de hippie d'Exquisite Idols, The North Sea œuvre complètement à part, dans un disque aussi terrifiant qu'il est prenant pour les oreilles averties qui sauront se montrer patientes et réceptives.
A écouter : au casque, la nuit