La Noise Rock, ce courant musical aussi riche que sous-estimé, ne connaîtra plus jamais de formation incarnant mieux ses idéaux que The Jesus Lizard dont Goat, leur deuxième album, est indéniablement leur sommet discographique. Et pour cause, déménageant à Chicago, le groupe enregistre ce disque, ainsi que bien d'autres, avec Steve Albini et s'acoquine avec Touch&Go, le label responsable de certaines des meilleures sorties de la fin du siècle précédant. Autant dire que le contexte jouait en la faveur du reptile messianique pour accoucher d'un album qui allait marquer les esprits.
Sensuelle, sauvage et rampante, la musique de The Jesus Lizard l'est sans aucun doute et ce n'est pas la basse dansante de David Wm. Sims qui va nous contredire. Groovy à souhait, le musicien porte le groupe à bout de bras, aidé par son compère Mac McNeilly (batterie), animant le squelette le plus branlant et désarticulé de l'histoire du Rock Indépendant. De "Then Comes Dudley" et son ambiance sulfureuse à "Monkey Trick", la basse joue le rôle de moteur mélodique et traverse ce disque de part en part, volant la vedette à la guitare de Duane Denison, brillante et chaude, utilisée sporadiquement pour accentuer cette ambiance malsaine. Il ne faut pas être un génie pour comprendre l'influence qu’a eu le Blues sur le guitariste qui apporte son jeu versatile, innovant et mélodique par petites touches. Jamais trop présent, ses temps de silence permettent à la section rythmique de prendre son envol, de créer une bande son digne d'un film porno qui se voudrait romantique, laissant la porte ouverte à une sauvagerie ahurissante lorsque le groupe joue à l'unisson et se déchaîne ("Nub" et son solo inspiré par la country en est le parfait exemple).
En résulte alors un disque sulfureux, sexuel et dangereux. À l'image de leurs prestations live, les trois musiciens mettent en place une musique variée (un monde sépare "Mouth Breather", au riff si efficace et direct de "Seasick", par exemple) qui permet à David Yow de finir le travail. Hanté par ses paroles morbides et absurdes, le chanteur ne se pose pas de questions et se lâche sans aucune forme de retenue : parlant, chantant (faux), hurlant, éructant, il apporte une nouvelle définition à ce que devrait être un chanteur de musique Punk.
Goat est le produit de cette rencontre, du Blues, du Punk, de la Noise Music, de cette envie d'en découdre avec la société qui n'a plus rien à fournir comme combat, de quatre musiciens, humbles mais talentueux. La musique qui compose ces trente minutes parvient à transcender l'idée de genre, aussi Noisy que Big Black mais plus humain, aussi langoureux et sexuel que Oxbow mais bien plus frontal, au moins aussi dangereux que Pissed Jeans mais plus dynamique dans ses explosions et ses accalmies, The Jesus Lizard est unique.
Si 1991 fut marquée par la sortie de Nevermind, il serait temps de revoir notre copie et de faire une place à ce disque, oublié par la masse, adoré par les connaisseurs et à ranger aux côtés d'un autre géant sorti sur le même label la même année, Spiderland. Une atmosphère différente mais une influence gigantesque dans les deux cas. Le voyage est court mais que l'on se rassure, Liar et Down ne sont pas loin derrière et méritent eux aussi leur lot de louanges.
A écouter : En humant une douce odeur de fluides corporels