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Biographie
Terra Tenebrosa voit le jour en 2009 à Stockholm sous l'impulsion, d'un ou plusieurs ex-membre(s) de Breach, fer de lance du Post-Hardcore européen des années 1990, alors éteint depuis près de dix ans. Terra Tenebrosa ne dévoile alors ni visages ni noms, préférant s'éclipser derrière des masques et un premier album fracassant - The Tunnels - sorti en 2011 par Trust No One Recordings. Le disque à mi chemin entre retour messianique et premier jet suicidaire se distingue par son extrémisme.En 2013, les mystérieux suédois frappent à nouveau, toujours chez Trust No One, assénant un nouveau coup de massue sur le petit monde du Post Hardcore avec The Purging.
Terra Tenebrosa, la terreur masquée venue des froides contrées suédoises, est de retour après deux premiers albums plus que convaincants. Désormais rallié à l'écurie Debemur Morti, leur nouvelle offrande est indéniablement attendue par les amateurs du groupe et à mettre aux côtés des sorties récentes de Cobalt et Oranssi Pazuzu dans sa volonté de détruire les codes de la musique extrême.
Les sept chants maléfiques enfermés au sein de The Reverses, hérétiques qu'ils sont, prêtent serment à plusieurs Seigneurs: Post Hardcore, Black Metal et Metal Industriel pour ne nommer que les principaux. Le dosage, s'il n'est pas subtil pour que l'ivresse survienne rapidement, est maîtrisé et bouscule l'auditeur. Le nombre d'instruments et de sonorités utilisés rappelle les Swans, à ceci près que ces derniers dégagent une impression de puissance démesurée tandis que Terra Tenebrosa asphyxie, écrase et broie dans les ténèbres les plus sombres l'âme des fous qui oseraient s'approcher d'une telle fournaise musicale. "Where Shadows Have Teeth" résume bien cette dimension, le titre reposant sur un riff simple, soutenu par des notes inquiétantes de guitare, auquel sont ajoutées plusieurs couches avant que le tout ne s'effondre, laissant alors apparaître au grand jour les spectres invoqués.
Nous passons donc l'intégralité du disque à craindre pour notre esprit tant les démons semblent habiter cette création malsaine. La cadence, soutenue, est éprouvante tout comme la tonalité des instruments : de la voix rauque et arrachée aux guitares grésillantes et abrasives tout ici n'est que dissonance et malaise. Les ralentissements sont peu nombreux et souvent propices au rassemblement de la ligne de front qui se retrouve gonflée de nouveaux combattants, mettant alors les bouchées doubles pour terminer plus violemment encore son travail. Pour autant, si le monde qui s'ouvre devant nous est dominé par l'obscurité, alors il est logique que la lumière y brille plus que nulle part ailleurs. Ces feux traîtres appâtent l'égaré qui, dépassé par ce qui l'entoure, est contraint de s'y agripper. Ces torches prennent la forme de mélodies simples et belles mais souvent effrayantes lorsqu'on y prête attention ("Exuvia") à l'instar de ce que peut proposer Blut Aus Nord. On pense d'ailleurs souvent à ces derniers au-cours de l'écoute de The Reverses, tant les deux entités réussissent à produire des œuvres sombres qui transcendent les questions de genre.
Ce dépassement n'a jamais été si bien mis en place que sur "Fire Dances", improbable léviathan de 17 minutes sur lequel Vindsval (Blut Aus Nord) donne de sa voix, et qui invite l'auditeur à passer par de nombreuses phases : vigueur, désespoir, attente angoissée puis ultime libération avant que le silence ne règne sur les cendres.
Terra Tenebrosa a récidivé. Si The Reverses possède sa propre identité, il n'en est pas moins similaire sur un point à ces deux prédécesseurs : c'est une belle réussite. Loin de la concurrence qui tâche souvent de jouer les riffs les plus lents et lourds, le groupe s'affirme en injectant une haute dose de Black Metal dans son Post Hardcore, à moins que ce ne soit désormais l'inverse. Remettant en question une fois encore les codes de la musique extrême, il livre une œuvre angoissante et exigeante qui demandera certes un temps d'adaptation mais remerciera le fidèle d'avoir poursuivi son initiation. Un disque à ranger près des derniers Cobalt et Oranssi Pazuzu, comme nous le disions, mais aussi des Swans, Blut Aus Nord et Celeste.
A écouter : Comme une litanie pour les ténèbres
Touche d'espoir. Bien que plus aisément assimilée à l'album d'Assassin du même nom qu'à ce disque, ces deux mots résument parfaitement ce qu'inspire l'écoute du second long de Terra Tenebrosa. Question de statut et d'années très certainement, The Purging n'étant sorti que récemment, conjointement chez Apocaplexy Records et Trust No One Recordings, alors que l'autre souffle sans broncher ses 13 bougies. Mais passons. The Purging, donc, est pourtant, et ce sans grande surprise, un disque bien nommé qui s'épanouit aux antipodes de ce que la notion d'espérance peut évoquer de positif.
Déjà fort d'un premier jet ridiculement mastoc, les suédois masqués semblaient devoir se heurter rapidement aux limites de leur numéro jusqu'auboutiste. Hormis ce gros défaut, The Tunnels avait au moins eu l'immense mérite de rappeler au bon souvenir des quelques fous qui les avaient oubliés que, bien avant Cult of Luna, Breach régnait en maître absolu sur le Post-Hardcore Européen. A l'heure où les désormais vétérans n'en finissaient plus de peaufiner leur recette avec le talent qu'on leur connait, The Purging (avec ses vrais morceaux de Breach au lineup) revient démontrer que le patrimoine sonore laissé par le patron, celui d'un Post-Hardcore proche des racines et inventif, abrasif, inquiétant et hypnotique, est, 12 ans après, très loin d'avoir été pleinement dilapidé par des héritiers qui ne l'avaient pas toujours mérité. "The Purging", leçon de surpuissance intransigeante, d'accordage et superpositions de guitares Breach-iennes menaçantes, suffit à elle seule à nous enfoncer la leçon bien profond en travers de la gorge. Las, si Terra Tenebrosa ne devait que se contenter de rendre hommage à une certaine idée du Post-Hardcore, il y avait de grandes chances pour que cette seconde offrande soit frappée du même mal que son grand frère.
A cette crainte Terra Tenebrosa répond sans ciller. Sur The Purging, le projet décline implacablement - et le mot est faible - son héritage selon une lecture moderne et personnelle. L'univers des Suédois se développe cette fois pleinement. Ambiance de fond de crypte, étendues givrées et cauchemard éveillé sont le premières associations qui viennent à l'esprit: lugubre et Black Metal The Purging se devra donc d'être, forcément. Ou presque. Car si les accents les plus noirs et glacés de The Purging auraient tôt fait de nous faire verser les suédois dans le panier des rejetons de la famille du Black dégénéré, Post-noir ou bien sludgiseant qui s'infiltre par tous les recoins du spectre des musiques extrêmes depuis quelques années, ce serait alors omettre l'essentiel. Oublier qu'ici cadre et intentions ont été fixés il y a de ça une petite éternité et voient plus large que l'époque. Derrière les ruptures Black-cathédrale occultes d'un "Black pearl in a cristalline shell", la lourdeur éthérée et futuriste relevée de synthé vintage de "Terra Tenebrosa" ou l'autisme bruitiste de "The Nucleus Turbine" on retrouvera certes ce qui fait la grandeur d'un Rain Upon The Impure (The Ruins of Beverast), d'un Vertikal (COL)ou d'un Lurker of Chaclice (du one man band du même nom) mais Terra Tenebrosa, plus qu'une simple façon de sonner ou un empilement d'ingrédients ayant prouvé leur efficacité par ailleurs se focalise sur ce qui fait avancer un disque: les idées. Les ambiances aussi, les unes découlant ici systématiquement des autres et pouvant aisément se résumer en trois mots: terreur, danger, folie. Trop extrême et singulier, Terra Tenebrosa n'évoque finalement aucune des formations précitées. N'en évoque aucune en particulier au point de presque faire oublier son ascendance marquée pour parvenir à faire de The Purging un authentique îlot de musique racée, recherchée et déviante, dans un genre qui, rappelons-le, fut aussi et surtout le repère de groupes de caractère mus par l'inventivité et la recherche d'approches alternatives avant d'être une histoire de codes.
The Purging, en dépit de ses autours exigeants demeure un disque direct, tendu, aussi flippé que dérangeant, épique et cauchemardesque. Un album de Post-Hardcore, un vrai. Un solide, de la trempe de ces créations musicales qui vous assènent un violent coup derrière la nuque sans plus tourner autour du pot autant qu'elles se dévoilent sur la durée. Une touche d'espoir en somme, vu d'ici. Que les années qui passent feront preuve éclatante que la flamme reste vivace, ou chant du cygne annonciateur de fin irrévocable d'une époque. D'ici à ce que le temps et les écoutes rendent leur verdict, Terra Tenebrosa aura au moins réussi deux choses: vous glacer les sangs et nous donner furieusement envie d'y croire.
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