S'il est un groupe qui a su se faire désirer, c'est bien Team Sleep. Après un feuilleton s’étalant sur près de six années, Chino Moreno daigne enfin assouvir la curiosité éprouvée à l'égard de son alléchant projet. Le charismatique membre de Deftones a toujours revendiqué sa passion pour Depeche Mode et la cold wave des années 80, ainsi que le rock classieux des Smashing Pumpkins. On connaît également la place prépondérante qu'occupe le Féminin dans l'univers de ce dernier, que ce soit dans l'imagerie, les paroles et incursions de voix féminines au sein des albums de Deftones, ou même ses influences allant de Pj Harvey à Sade et Denali. Team Sleep se veut le support/exutoire de tous ces éléments qui ne trouvaient guère d'espace dans sa formation principale.
Il est donc naturel de voir la musique de Team Sleep se diriger vers des contrées ambiantes et intimistes, en une synthèse habile d'électro et de rock. Cet album marque parallèlement un sentiment de plénitude de la part de Chino Moreno. Il semble comme un poisson dans l'eau dans ce registre, laissant libre cours à sa sensibilité et aux aspects les plus aériens de son chant. De ces facteurs découlent des titres d'une richesse déconcertante à l’image de l’entame "Ataraxia" et ses boucles typées Death In Vegas. Mais le quintet va mettre un point d'honneur à décliner son électro rock sous diverses formes. Cela se fera de manière plus atmosphérique et dépouillée (le planant single "Ever"), ou en proposant un rock noisy original puisque superposé à une rythmique syncopée ("Your Skull Is Red").
Les habitués de Deftones ne seront pas pour autant dépaysés. D'une part en raison du jeu de Zach Hill derrière les fûts, qui rappelle étrangement celui d'un Abe Cunningham sous Valium, mais aussi par ce "Blvd Nights". Le titre s'insère aisément parmi le panthéon de hits deftonien, réunissant les ingrédients essentiels : une voix touchante et voilée sur des couplets menant à l'explosion distordue du refrain, le tout entrecoupé de ponts noisy et tourmentés. On retrouvera cette même puissance émotionnelle sur "Live From The Stage" par le biais de la ténébreuse intro de Dj Crook, sur laquelle la voix de Chino Moreno se fait fantomatique, à l'image des notes gémissantes provenant des cordes de Todd Wilkinson. L'ambiance ainsi posée, surgit alors un torrent de guitares sous lequel on ne peut que délecter se noyer.
Poursuivant l'exploration des genres qu'ils affectionnent, les membres de Team Sleep s'entourent de pointures de la scène indé américaine. Le multi instrumentiste Rob Crow (Pinback) met ainsi à profit toute son expérience sur des titres profondément trip hop et stratosphériques ("Princeton Review", "Our Ride To The Rectory"). Son apport s'avère tout aussi concluant sur les envolées de "11-11" dignes du savoir-faire indie pop de LastDaysOfApril. La sensualité étant le fil conducteur de cet album, on ne s'étonnera point de la participation de Mary Timony (ex-Helium) en héroïne de "Tomb Of Liegia". Ce titre, inspiré d’une nouvelle d’Edgar Poe, est une véritable invitation au recueillement par la voix chaude et grave de son interprète. Le travail de Dj Crook, une fois de plus brillant, instaure un climat pesant de nostalgie en samplant des clameurs de foule lointaines et de piano. Chino Moreno se joint à eux sur "King Diamond", dans un jeu de question/réponse vocal sur fond de Massive Attack époque "Protection".
Malgré l'aspect disparate des styles abordés, ce "Team Sleep" fait preuve d'une homogénéité sans faille, tant sur le contenu d'un morceau que le déroulement de l'album. On le doit sans conteste à une utilisation pertinente d'intermèdes, traduisant cette "union charnelle" du synthétique et de l'organique qui semble constituer le leitmotiv du combo ("Delorian", "Staring At The Queen", "Paris Arm" et son envoûtante voix féminine française).
"Team Sleep" ne se contente donc pas de rendre hommage aux mouvances dont il se réclame. Le groupe propose un électro rock extrêmement travaillé et personnel, dans lequel le talent de Dj Crook et le timbre exceptionnel de Chino Moreno sont les atouts déterminants. L'esprit se dégageant de l'album se fait l'écho de la pochette mûrement réfléchie, alliant sensualité, intensité, nonchalance, le tout encadré par un travail d'orfèvre. On ne peut que déplorer l’absence de titres figurant sur la version non masterisée comme "Death By Plane", "The Passportal", ou "Kool Aid Party" auquel participe pourtant Mike Patton. A ce titre, Team Sleep n'est définitivement pas un side-project, mais certainement le plus redoutable concurrent de Deftones.
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Planage total, sensuel, un vrai délice auditif.
"the best album for a good sex time", en effet tout est dit.