Avec les années et le nombre à croissance exponentielle de formations du genre, il est apparu plus simple de distinguer l'affiliation des artistes à leur vision musicale. Comment serait-il possible d'associer une conception mathématique de la musique régie par des règles bien strictes que partage Dream Theater à la vision chaotique et irrégulable de John Cage à savoir que la musique doit s'affranchir d'une quelconque géométrie préconçue. Si King Crimson a su le faire par le passé, naissant à mi-chemin de ces extrêmes dans un nuage sombre et flou, une zone où les partitions et les tablatures oscillent avec les pages blanches, c'est aujourd’hui Tangled Thoughts Of Leaving qui en émerge.
Faisant suite à Deaden The Fields sorti en 2011, Yield To Despair s'ouvre avec la première partie du morceau The Albanian Sleepover d'une manière tout à fait particulière. Cette lenteur dévastatrice contraste avec tout ce qu'a pu composer le groupe depuis ses débuts. Pourtant la simplicité apparente de ce premier titre cache en réalité une structure infiniment plus complexe qui ne tardera pas à se dévoiler. Évoluant dans un tout autre registre, moins coloré et plus obstruant, cet album relève davantage d'un travail de masse et de texture que de développement ou d'un souci du détail. Les plages noisy font suite à des introductions mi-tempo riches et précèdent d'intenses déluges imaginatifs (Downbeat) ou à l'inverse des montées riches en émotions (Shaking Off Futility).
Composant à la manière de Earthless et de Oiseaux-Têmpete, sur une base structurée qui au fil d'improvisations et d'étirements évolue en morceaux de dizaines de minutes, chaque membre de la formation de Perth fait preuve d'une parfaite connaissance des autres. Le titre Downbeat en est l'exemple par excellence. Déjà présent sur l'EP du même nom, cet enchaînement de montagnes Russes d'une durée de 18 minutes a pour la première fois été composé et enregistré sur une seule et même session. Risquée comme idée ? Pas lorsque l'on s'appelle Tangled Thoughts Of Leaving.
L'impulsion du batteur sur ses fûts y joue un rôle aussi important que chez Russian Circles. Ses accélérations fulgurantes font ainsi écho à la virtuosité du pianiste capable d’insérer une partition tout aussi magnifique que technique lorsqu'il ne travaille pas sur l'implantation d'un mur Noise derrière ses potards. Souvent mis en avant sur son prédécesseur, Yield To Despair temporise ses mélodies et équilibre le piano à un niveau plus accessible, rendant ainsi ses interventions plus grandioses encore. Mais le bassiste et le guitariste ne sont pas en reste non plus et réussissent à élaborer des atmosphères qui fixeront votre attention entre chaque changement de texture.
En un peu moins de 70 minutes tout y passe, ou presque. Post Rock/Metal, Jazz, Noise, Drone, Classique Contemporain, Expérimental, Progressif... et ce, embelli par une production déjà très mature et maîtrisée à la vue d'une telle diversité. Si l'on a aucun mal à mettre un nom sur les influences et sous-genres visités ici, chacun d'entre eux se coordonne à la perfection pour un résultat qui ne ressemble à aucun autre. S'il est vrai que Yield To Despair n'atteint pas la perfection orchestrale de Deaden The Fields, il ne fait même pas mine de s'en approcher un instant car la vision du groupe a bien changé en quatre ans, comme le montre l'évolution discographique des Australiens sur leurs nombreux EP. Hermétique s'il en est, cet album n'est sans doute pas la meilleure porte d'entrée pour pénétrer la discographie de Tangled Thoughts Of Leaving, il en reste cependant une facette importante et au combien accomplie de leur évolution, souvent au bord de la rupture mais toujours sous contrôle.
L'album s'écoute sur Bandcamp.
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