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Biographie

Swans

Swans est l’un des groupes les plus importants et influents de la scène expérimentale américaine. Depuis l’album Filth en 1983, le groupe a traversé trois décennies sans jamais dérvier de leur cap, celui d’une musique singulière et sans concession. 

Swans est Michael GiraMichael Gira est Swans. Il s’agit du seul membre permanent du groupe depuis ses prémices. Le groupe, originaire de New York, s’est essayé à de nombreux genres. D’abord ce mélange de Rock Industriel et de Noise Rock qui a caractérisé  les débuts de la musique de Swans avec des albums comme Filth (1983) Cop  1984) Greed (1985) ou Holy Money (1986). Children of God (1987) marque un nouveau tournant dans la musique du combo, plus orienté Post-Punk voire Gothique mais toujours avec une orientation expérimentale.

Cette mouvance se poursuivra jusqu’en 1995 avec ce qui est certainement leur album le plus accessible : The Great Annihilator
Le choc est brutal avec Soundtrack For The Blind (1996) qui montre Swans sous un nouveau jour, avec un son Post-Rock allant même chercher du côté du Drone ou du Dark Ambient. Ce mastodonte de plus de deux heures vingt devait pourtant être le dernier. En effet, c’est en 1997 que Michael Gira décide de mettre un terme au groupe, voulant se concentrer davantage sur ses autres projets. 

Après treize années de silence, Swans renait de ses cendres avec l’album My Father Will Guide Me Up A Rope To The Sky en 2010. Assez imprégné  du travail solo de Gira, ce retour inespéré pose toutefois les bases d’une ère nouvelle. Deux ans plus tard, The Seer prend tout le monde de court, déclenchant sa furie sur plus de deux heures et considéré par beaucoup de critiques comme l’album de l’année 2012. L’on retrouve sur cet album quelques similarités avec Soundtrack For The Blind, la longueur d’abord, qui avoisine les deux heures, le concept du double album ensuite ainsi qu’une radicalité sauvage dans le son. Deux ans plus tard, To Be Kind confirme ce nouvel élan. Reprenant The Seer là où il s’est arrêté, ce nouvel album s’impose comme une synthèse de la carrière du groupe, entre Post-Rock aérien, riffs industriels basés sur la répétition et toujours une expérimentation permanente.   

16.5 / 20
2 commentaires (17.75/20).
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The Glowing Man ( 2016 )

Notre dernière entrevue avec Swans remonte à 2014 et le mastodonte To Be Kind, qui venait confirmer la forme étincelante des shamans du son. En effet, depuis leur retour en 2010, les Américains n’ont eu de cesse d’enchaîner les périples expérimentaux, offrant à leurs fans des albums d’une puissance et d’une recherche sonique entre onirisme et écueils de l’âme. Michael Gira l’a annoncé à brûle pourpoint, The Glowing Man est le dernier opus sous cette formation et vient ainsi conclure de la plus belle des manières cette quête avant-gardiste effrénée.

Une continuité certaine
 

La plus grande surprise à la découverte de ce nouvel album est qu’il n’est guère surprenant. Pour être clair, si vous avez succombé aux velléités psychédéliques des précédentes propositions, The Glowing Man ne pourra que vous ravir. Au contraire, si l’univers de Swans vous est hermétique et provoque chez vous une réaction en chaîne allant du bâillement aux frottements de paupières, passez votre chemin. La recette reste effectivement inchangée dans sa forme globale. Un double album, huit morceaux dont cinq dépassant allègrement les douze minutes. Comme à son habitude, Swans ne fait pas dans la demi-mesure. Le groupe se permet même de reprendre dans le morceau éponyme (qui trône fièrement du haut de ses vingt-huit minutes) le thème de Bring the Sun / Toussaint l'Ouverture, lui aussi morceau fleuve du précédent opus. Cet enchainement hallucinatoire répété à l’infini se voit ici réarrangé, accéléré et incorporé de sorte à proposer une nouvelle dynamique.
Plus globalement, l’album est dans la pure continuité des précédents, mélangeant avec brio ce qui a fait le succès du groupe : quelque part entre Rock Psychédélique, Krautrock, Post-Rock, No Wave et plus globalement la musique avant-gardiste dans son ensemble.
Swans nous proposerait donc ici qu’une compilation de leurs dernières sorties ? Ce serait mal connaître Gira et sa bande. La vraie nouveauté ne se trouve pas dans la forme mais bien dans l’intention.

Vers la lumière

Michael Gira l’avait annoncé avant la sortie officielle, The Glowing Man a été conçu avec l’idée d’un amour inconditionnel. Là où les précédents albums (notamment The Seer et To Be Kind) pouvaient frapper par leur noirceur incandescente et virevoltante, nous avons ici affaire à des compositions touchées par la grâce. Indéniablement influencée par les centaines de concerts effectués et leurs folles improvisations, la musique sur The Glowing Man se conçoit tel un ensemble sonique mouvant, une masse bruitiste insaisissable où seule la lumière transparaît. Elle est ici prégnante, tel un filament secret elle relie, raccorde, polit, unit chaque pierre de cet édifice final. Cette félicité se traduit concrètement par la présence quasi constante de chœurs féminins, soient-ils en filigrane ou clairement audibles. Ces derniers, couplés à de longues mélopées aux confins du Drone, procurent une béatitude certaine, une paix intérieure à travers la toute puissance rythmique.
Ce jeu constant -si cher au groupe- entre mélodie et cacophonie semble ici amené à son paroxysme. Comme à son habitude, Gira pousse ses troupes et ses auditeurs au bout d’eux-mêmes, jouant avec leur patience et leur capacité à décrocher d’une idée préconçue de la musique. The Glowing Man se vit comme un tout stellaire et semble vouloir nous amener vers une certaine paix intérieur, l’effet cathartique déjà présent sur les précédents opus étant ici décuplé. Certains passages particulièrement enjoués (The World Looks Red / The World Looks Black, Frankie M, Finally, Peace) témoignent d’une volonté de conclure ce cycle dans l’apaisement et la tranquillité. Tel le héros mythologique revenant au pays une fois le devoir accompli, Swans parachève son édifice avec une œuvre à la complexité au service de sa quiétude.

The Glowing Man se place donc dans la droite lignée des précédents albums du groupe. Tout en reprenant cette recette si singulière qui a conquis anciens et nouveaux fans, Swans conclu cette période faste de sa discographie par un opus rassembleur et particulièrement lumineux. La suite n’est connue que de son créateur, qui, pour le moment, se fait une joie de ne pas la connaître. Après sept années d’une telle productivité et d’éreintantes tournées, on ne peut que le comprendre.

18 / 20
9 commentaires (18.17/20).
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To Be Kind ( 2014 )

Que de chemin parcouru pour Michael Gira et sa bande ! Alors que la rupture semblait actée à la fin des années quatre vingt dix, Swans a fait son grand retour en 2010 avec My Father Will Guide Me Up a Rope to the Sky puis en 2012 avec The Seer. Trop souvent, les reformations d’anciennes gloires s’avèrent particulièrement décevantes et loin d’être à la hauteur d’un passé qui n’a de glorieux que son ancrage dans le temps. Pris au piège entre le souvenir aigre-doux de la fulgurance des strasses et le souhait d’arrondir les fins de mois, très peu de formations parviennent à tenir la dragée haute au temps. Seulement, Swans n’est pas un groupe comme les autres. La radicalité dévore sans cesse davantage leurs espaces créatifs. The Seer, qui culminait déjà dans les hautes sphères de la créativité, n’était en fait que la seconde étape du pèlerinage prophétique du Swans nouveau.


To Be Kind est une ode à la puissance. Puissance primitive, colérique, salvatrice, tant processionnaire qu’effrayante. Une bête immonde qui se joue de toi, auditeur. Une fois pris au piège et agonisant au sein de ses serres insalubres, l’oiseau se joue de sa proie. Elle s’y retrouve trimbalée dans les espaces désertiques infinis du nord américain, l’aridité ne laissant place qu’à la sècheresse ne laissant place qu’à l’aridité dans un tourbillon inamissible. A Little God In My Hands est notre catalyseur pour le survol bluesy d’une poignée de mercenaires en quête de nouvelles proies sur une rythmique pataude éclaircie par une mandoline habitée. Par la puissance incantatoire dégagée, nous voici au cœur d’un éloge au primitivisme musical. Ce retour aux fondements même de la musique est le fragile ciment d’une œuvre sans compromis. Chaque morceau est fondé sur le modèle d’un château de carte instrumental. La base est solide, massive, éreintante ; tandis que se superposent sans crier gare une multitude de couches, de détails, de riffs, de bruits, de cris, de percussions. La longueur indécente des morceaux (entre cinq et trente quatre minutes) nous amène à un paroxysme jusqu’au-boutiste. L’équilibre est chancelant, le climax insoutenable. Chaque nouvelle carte ajoutée serre davantage la corde autour du cou et c’est finalement au cœur d’une tension finale extrême que le déchainement bruitiste cathartique prend place et que le château s’annihile dans un déluge de décibels. 

Un battement d’aile plus tard, notre voyage se poursuit avec ce qui constitue la pièce maitresse de l’album : Bring The Sun/Toussaint l’Ouverture. Un mastodonte qui remet en cause, d’un regard noir concupiscent, le concept de transcendance. Son introduction d’abord : cinq minutes de coups de boutoirs assenés sans retenue qui envoient l’auditeur dans les cordes, acculé sous la puissance des coups infligés. Sans défense ni parade possible, le laisser aller est de mise. Entrée en matière dantesque annonciatrice du déluge hypnotique à suivre. Trente quatre minutes d’un mélange corrosif de drones, d’effets psychédéliques, de cris de chevaux et d’hurlements dans la droite lignée de The Seer, morceau-titre de l’album précédent. Toujours plus extrême, toujours plus jusqu’au-boutiste, la bande à Gira n’a pas l’intention de céder un millimètre carré d’inventivité. La démarche n’est évidemment pas à la portée du premier venu. Nombreux seront les vagabonds sans repères qui se perdront, tant l’atmosphère y est asphyxiante et nerveusement douloureuse. La récompense pour les plus courageux sera toutefois à la hauteur de la prise de risque : une fois dévoilé, To Be Kind consumera vos songes les plus insensés. 

Dichotomie ? Bipolarité ? Dualité ? Un peu tout cela à fois. Deux albums pour deux heures de musique deux ans après The Seer. La dualité semble être le fil d’Ariane nécrosé de To Be Kind. Dans la forme mais aussi et surtout sur le fond. La seconde moitié de l’oeuvre en est d’ailleurs l’illustration parfaite. Swans entraine l’auditeur entre rêveries et cauchemars, accessibilité (la progression presque Krautrock de She Loves Us !, le riff très carré du morceau Oxygen) et abstraction (Kristen Supine, Nathalie Neal). 
Ce qui rend To Be Kind aussi exceptionnel c’est bien ce savant dosage entre furie et accalmie. Dans ce même sillon, au milieu de l’enfer, nos tribulations passent au cœur de sentiers balisés de ce qui caractérise l’Homme. Au fond, le génie de Swans est d’être parvenu à enfermer sur un même album les contradictions qui caractérisent l’humanité : folie/sanité, raison/passion ascétisme/jouissance, maturité/insouciance, ordre/désordre, finalité/questionnement, vérité/désespoir, amour/mort, la liste est aussi infinie que la connerie humaine. Some Things We Do qui relate la banalité de nos actions quotidiennes est un exemple parmi tant d’autres. 
Dans l’absolu, la réception d’une telle œuvre pousse indéniablement à une nouvelle contradiction : Où se situe la frontière entre soi-disant génie et escroquerie ? Bien souvent ténue lorsque l’on fait face à une œuvre d’une telle grandiloquence, la seule personne en capacité de répondre à cette question reste bien entendu…Vous. 


À la fin du voyage, éprouvé, malmené, quelques certitudes ressortent malgré tout : Swans est grand. Depuis l’album Filth en 1983, la carrière de ce groupe hors du commun n’a été que perpétuelle remise en question de leur art, sans jamais se compromettre. Des influences No Wave de Glenn Branca à la Noise Rock de The Jesus Lizard, en passant par le Krautrock, l’Ambient ou le Post-Rock, To Be Kind est le point de convergence d’une discographie ahurissante fondée sur la prise de risque. Nul ne sait ce que le groupe nous réserve à l’avenir. Ce qui est certain en revanche, c’est bien que Swans est un maillon indispensable et farouchement intraitable de la musique expérimentale depuis plus de trente ans. Offrir un album de cet acabit après tant d’années d’activité est le signe des très, très grands. Vive la musique, vive Swans