Sunn O)))
Drone / Doom
Soused
Chronique
Sunn O))) n’a jamais été avare en collaborations. Earth, Nurse With Wounds, Boris, et Ulver plus récemment, tous en dépit de leurs horizons divers ont flirté avec les vibrations du duo encapuchonné. De près ou de loin cependant, car comme le savent ceux qui suivent ardemment leur discographie, Stephen O’ Malley et Greg Anderson n’ont pas pour habitude d’imposer leur style si particulier à leurs heureux invités, mais davantage d’écrire une œuvre commune et unique avec eux. « Rien ne se créée, rien ne se perd, tout se transforme » comme le disait Antoine Lavoisier. Rien alors ne permettait d’imaginer quelle serait la teneur de cet LP en compagnie de Scott Walker, si ce n’est quelque bref trailer sur la toile (impatience des fans/promotion oblige) qui n’eût d’autre effet que d’attiser une curiosité plus vive encore.
En un peu moins de deux minutes, les musiciens instauraient
une ambiance oppressante, glauque, qui se révèle prépondérante sur l’album dans
sa totalité. Soused n’est pas un apaisant White 2. Soused n’est pas non plus un
Black One profond et où ne perce aucune lumière. Rien de tout cela, ici c’est
la froideur de ces guitares vaporeuses, monochromes et quasi inchangées qui
règne. Toujours en arrière-plan, comme un fil conducteur stoïque mais
rassurant, en pleine lutte contre ces percussions et incursions électroniques
sporadiques qui évoquent un Indus désincarné, prenant l’allure d’une fausse
cadence. Leurre. Ici on donne au terme « Expérimental » son sens propre ;
les artistes tentent, abandonnent, répètent deux fois, trois fois ce brusque
départ vers les aigus ou ce rythme furtif que l’on remplacera par un autre plus
tard.
Seul persiste ce fond Drone entêtant, brisé par les vocalises de Scott Walker,
qui se manifestent dès la première seconde de « Brando ». Le chanteur
gratifie chaque morceau d’une voix puissante, haut perchée, qui constitue une
grande part de l’aura globale de l’album. Walker, tout comme de précédents
guests de Sunn O))) (Attila Csihar ou Malefic de Xasthur), se distingue par une tessiture unique, proche
de chants d’églises (« Herod 2014 ») et aux mélodies presque
faussement enjouées. Un parti-pris assumé qui demandera sans doute un temps
d’adaptation, s’il ne rebute pas catégoriquement.
Mais Anderson et O’ Malley n’ont pas l’habitude de faciliter la tâche de l’auditeur, et cette volonté de toujours fouiller plus n’est pas démentie par l’atmosphère sinistre de ces cinq titres. Pourtant « Brando » débutait sur une note d’enthousiasme, éclairé par cette sample de « Sweet Child O’ Mine » des Guns N Roses. Impression fugace dont auront raison les beats lancés comme des coups de fouet et autres violons crissant et lancinants, prêts à bâtir un cadre hostile en clair-obscur ; rien ne prépare aux multiples dissonances, tant l’inattendu joue ici un grand rôle. De la même manière, « Bull » ou « Fetish » lancent des mélopées emphatiques, supportées par un refrain où la batterie et les guitares s’unissent pour un rendu quasiment Rock, avant de sombrer à nouveau dans cette tension envahissante. Le final quant à lui délaisse toute forme de grandiloquence et l’on y retrouve un Scott Walker qui lâche ses dernières paroles dans des élans glacials sur fond de claviers stridents, assez peu agréable à l’écoute. « Lullaby » achevé, cette dernière pièce laisse perplexe et conclut un album qu’il est difficile de juger, car définitivement à l’Avant-Garde et inédit.
Passées quelques écoutes, on réalise que Soused n’est que soubresauts, longs calmes plats avant de courtes tempêtes, une symphonie démantibulée et déconstruite qui le rend difficile d’accès. Il y a fort à parier que ce travail ne fera pas l’unanimité, un constat tout à fait justifiable et pardonnable. On ne peut se résoudre cependant à réduire cette collaboration à un simple délire d’élite underground, car l’œuvre est emplie de passages intéressants et procure par-dessus tout des sentiments que l’on retrouvera péniblement chez d’autres orfèvres de la musique sombre et marginale.