Sumac

Sludge

États-Unis

Love In Shadow

2018
Type : Album (LP)

Chronique

par Skalkulo

Compostant sans cesse des miasmatiques effluves du présent excité les omniprésents relents suintant du passé révolu, surfant en ballerines trouées sur les pentes abrasives et molles d'un sludge expérimental en perpétuelle extinction, célébrant goulûment les noces rebelles les plus imprévisibles, Sumac poursuit son chemin. Encore. Parti d'un ailleurs connu de tous, le trio continue de défricher des sentiers menant quelque part. Où ? Qu'importe car quelquefois le chemin est vraiment plus important que le but à atteindre, et, alors que sort Love In Shadow, troisième album de la désormais nouvelle bande d'Aaron Turner, l'on se dit que le trajet vaut le détour... Et si le chemin est si important, c'est que, après avoir doucement testé quelques impromptues digressions rythmiques sur What One Becomes (réécoutez Clutch Of Oblivion) et lors de la tournée qui s'en suivit, après avoir complètement lâché les chevaux lors d'une étourdissante et improbable jam-session en compagnie de Keiji Haino en février dernier (American Dollar Bill), Sumac revient, paré de cette fébrile impression d'avoir trouvé non pas l'ultime destination, mais les moyens artistiques d'y accéder. Un jour.

Ce troisième album a la forme et les dimensions d'un monolithe instable. Quatre longs titres pour plus d'une heure d'idées. Plus d'une heure d'audace. C'est qu'il en fallait des cojones pour partir de quelques idées compositionnelles et réaliser, in fine, un bloc, un monolithe cohérent. Entre les deux, entre les intuitions et la somme finale, l'improvisation ; sous toutes ses formes.

Légère et angoissante sur The Task lorsqu'après 6'30'' d'une longue intro sludge classique, un court silence marque le début des pérégrinations sonores hasardeuses : Turner effleure quatre ou cinq notes (d'une gamme pentatonique que l'on a quelquefois l'impression de redécouvrir, littéralement) sur sa guitare, fait traîner quelques réverb's bien goûtées avant d'être rejoint par la basse et les drums qui finissent par relancer le moteur et rouvrir l'espace pour les vocaux. Dépouillée et jazzy sur le même titre, lorsqu'entre les minutes 13 et 18, la guitare digresse joliment tandis que les lourds coups de Nick Yacyshyn tiennent le tempo avant de laisser la place, jusqu'à la fin des 21'32'' de ce nouveau miracle musical, à une séraphique ligne d'orgue interprétée par Faith Coloccia. Lourde et noisy, entre les minutes 4 et 8 de Attis' Blade, lorsque guitare et batterie farfouillent aux confins du harsh noise. Boueuse et saturée pendant les quatre premières minutes puis entre les minutes 7 et 12 de Ecstasy Of Unbecoming. Brave et miraculeuse enfin sur Arcing Silver entre les minutes 7 et 10 lorsque Aaron Turner, seul avec sa gratte, hypnotise le vent et le brouillard.

Love In Shadow est un album d'une classe inouïe, qui réinvente le sludge en lui infusant le génie du krautrock et du free-jazz ; un album gras, épais, capté par Kurt Ballou en condition live et mixé « plat » pour laisser exploser la basse de Brian Cook et dominer, enfin, la batterie de Nick Yacyshyn. Un album brillant sur 360°, aux compositions équilibrées à l'extrême, entre travail en trio, silence et improvisation. Le Sumac 3.0 est arrivé.

Et puisque Love In Shadow parle d'amour, sous toutes ses formes, du beau et du minable, du vaporeux et du timide, du vaseliné et du sauvage, du scotomisé et du fuyant, du libre et du tordu, du vertueux et du haineux, et puisque le philosophe nous enseigne que l'amour pourrait sublimer l'espace temps et le pourfendre de part en part, alors l'on peut se prendre à rêver, en songeant à l'os de tibia du 2001 de Kubrick, disparaissant dans les airs pour réapparaître, dans un plan enchaîné, plusieurs milliers d'années plus tard sous les « traits » d'un engin spatial, que c'est ici le Dieu Aaron qui a gratté quelques cordes pour raconter l'amour et transcender les mondes et les siècles…



Lorsque l'on a aligné toutes les expressions, tous les mots généralement accolés à la description d'un chef-d’œuvre, il ne reste plus rien à écrire. Alors on peut gueuler : Kamoulox !

17

Les critiques des lecteurs

Moyenne 16.75
Avis 2
HerEgen September 14, 2018 09:32
Très fameux papier ! Un seul titre en écoute sur Bandcamp pour le moment, mais v'là la correction. Et ce rendu bordel...
16 / 20