Sumac

Sludge

États-Unis

American Dollar Bill - Keep Facing Sideways, You're Too Hideous To Look At Face On / Collaboration avec Keiji Haino

2018
Type : Album (LP)

Chronique

par Skalkulo

Tour à tour régleur de boussole de Isis, agitateur des boues de dragage de Old Man Gloom, étireur des notes suspendues de House of Low Culture, allongeur des rythmes éthérés de Mamiffer, collecteur des sons improbables de Lotus Eaters ou des fréquences spectrales de Drawing Voices, épaississeur d'ambiance de Thalassa ou vrombisseur (oui, ok... et alors?) des cordes de Sumac, en même temps patron de maison de disque (feu Hydrahead, Sige), arrangeur, producteur, graphiste et donneur d'envie d'envisager à nouveau le support cd (si si, allez voir les cd sleeves grands formats carrés du « A small turn of human kindness » de Harvey Milk ou du « Planets of old » de Cave In), et alors qu'il vient tout juste de célébrer son quarantième anniversaire, Aaron Turner continue de donner l'impression qu'il a déjà vécu de nombreuses vies d'artiste. Et quelque chose nous dit qu'il n'est pas près de mettre fin à ses audacieuses pérégrinations.
Alors lorsque Sumac, son projet central depuis 2015, celui avec lequel il enregistre et tourne le plus, rencontre Keiji Haino, légende dépositaire depuis les années 70 d'une contre-culture à lui tout seul, cela donne une collaboration aussi inattendue que détonante : American Dollar Bill – Keep Facing Sideways, You're Too Hideous To Look At Face On ou soixante-sept minutes d'improvisation pure et sauvage, divisées en cinq titres provocateurs.
Multi-instrumentiste sexagénaire ayant collaboré avec tous les musiciens les plus fondus du monde, de Brotzmann à Zorn, de Merzbow à O'Malley et ayant expérimenté dans sa longue discographie les styles les plus hétéroclites, Keiji Haino joue de la flûte sur American Dollar Bill, pose quelques plages de guitares et prête sa voix sur trois titres. Le résultat est fascinant. Les vocaux de la légende japonaise résonnent comme un croisement génétiquement trafiqué entre les cris orgasmiques de Irène Papas sur ∞ (Aphrodite's Child666) et le chant sous influence fongique de Damo Suzuki sur les meilleurs albums de Can (Peking O sur Tago Mago par exemple)... Can... la référence est lâchée... On ne pourra pas ignorer que American Dollar Bill sonne comme un hommage « post-moderne » au mythique groupe allemand et, par-delà, au krautrock et à ses délires hypnotiques improvisés. Un hommage à peine travesti par les géniales sonorités « post-tout » de Sumac ; de la lourdeur diaphane avec flûte de l'intro du premier titre au vortex noisy et épais de I am over 137% a love junkie and still it's not enough Part 1&2, le trio américain donne ici à entendre une magistrale aventure sonore et prouve que leurs augures musicales gravitent déjà ailleurs et autrement.
« Autrement » car, malgré les vocaux de Keiji Haino, imprévisibles et déroutants, la vrai valeur ajoutée de cet album collaboration réside dans l'incroyable inspiration des deux titres instrumentaux – What Have I Done (Part 1&2) - où les cordes de la basse de Brian Cook (ex-Botch, Russian Circles) tempêtent comme rarement (merci à Kurt Ballou qui a mixé tout ça) et où les drums de Nick Yacyshyn (Baptists), libérés par le contexte de l'improvisation, colonisent l'espace pour oser les rythmes et les breaks les plus incroyables. Quant à Aaron Turner, il profite de l'occasion pour livrer les miscellanées de son audacieuse œuvre guitaristique... Une pure démonstration !
American Dollar Bill est un album essentiel car inattendu ; urgent car intemporel. Si cet album a dévoilé l'évolution future de Sumac, on se réjouit d'avance.

PS : Réécoutez Can. Encore. Toujours.

16

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