Mes aïeux qu’il est costaud ce Retour Des Tranchées ! Sombre, robuste, très dense, malgré une apparente simplicité, il se révèle très difficile d’accès, d’autant plus qu’il s’agit là d’un style assez exclusif qui n’a d’ailleurs pas pour habitude d’être présent dans les colonnes de Metalorgie. Premier album pour Storm Of Capricorn, après plusieurs essais les ayant fait remarquer auprès de la scène très exclusive du genre, ce concept-disque offre une mise en musique de récits de poilus de la grande guerre, via des textes piochés ça et là dans des recueils de journaux intimes de l’époque. La thématique est déjà vue, revue, à fortiori dans cette communauté gothique et folk (Death In June en tête), mais ôtons nos a priori négatifs et penchons nous d’abord sur le contenu de Retour des Tranchées.

Storm Of Capricorn distille à ceux qui auront la curiosité de se pencher sur leur disque une musique à la mélancolie et l’esthétisme ambiant, qui touche allègrement à l’essence même du gothisme. La forme que revêt celle-ci est par contre tout autre : Retour des Tranchées propose une complainte en l’honneur de ces soldats, ceux qui ont vécu l’horreur, qui ont pu en témoigner et qui, brisés, ne purent oublier, furent même hantés par ce cauchemar subit durant des mois, des années. Le génie de cet album se trouve là. L’illusion est parfaite, le disque dégage une personnalité extrêmement forte, présente du début à la fin, et il vous glace le sang  en vous plongeant dans cette tragédie pourtant bien connue. Les titres, d’apparence très kitsch, touchent en fait principalement à l’indus, entrecoupée de passages ambiants. Bourrés de détails, plus immersifs les uns que les autres, ils forment un tout à l’intégrité et à l’objectif clair : témoigner. Le militarisme est de mise en toute logique, dès le premier titre du disque - en fait un chant de guerre à l’enregistrement grésillant – mais surtout au cœur de l’œuvre grâce à une musique très martiale, où roulements de tambours machinaux, grosse caisse de fanfare et cymbales, tissent une toile de fond, situant l’action comme se déroulant au cœur des combats de ces tranchées, qui sert de base au développement de toute cette grisaille ambiante. Les ambiances se déploient, et c’est un fourmillement d’instruments qui rend le tout réellement prenant, tantôt heavenly, tantôt ambiant, et toujours avec ce côté indus (certains diront que cela sonne Bontempi, ou midi). Les voix parachèvent cette immersion, et c’est avec une noirceur déstabilisante mise en valeur par un écho profond que Serge et Céline récitent les textes (en français naturellement) d’âmes perdues à jamais, pourries par l’expérience de ces tranchées. La boue, le froid, la mort, le désespoir, la bravoure, l’espoir, la mort, l’horreur, l’ennemi, les balles, la mort, le souvenir, la peur, l’affront, les regrets, la mort, le chaos, les regards, la famille, la mort. Cette immondice déraisonnable qui nous témoigne encore une fois ce militarisme terrassé et désespéré, échec stratégique et catastrophe démographique que l’on connaît, se ressent parfaitement dans les écrits choisis, nous plaçant au niveau du soldat, de celui qui ressent.

Aussi complexe que l’événement qu’elle traite, la musique de Storm Of Capricorn sur Retour des Tranchées est au final une sorte d’enchevêtrement de caractères folkloriques et gothiques, retranscrits dans une poésie indus et néo-classique, qui revêtent une apparence franchement simpliste (parfois kitsch) et brouillonne, mais derrière laquelle il faudra aller chercher en profondeur toute l’habileté d’un témoignage historique poignant. Comprendre l’essence d’une telle musique nécessitera sûrement une grande implication et quelques notions sur le style dont il s’agit, mais l’expérience de la musique-documentaire vaut peut-être bien quelque dévouement.

A noter:

L'intégralité des textes est consultable ici.

mp3: Des Visages Dans La Boue (version promo)