Sprain

Noise Rock / Slowcore / Expérimental Rock

États-Unis

The Lamb As Effigy

2023
Type : Album (LP)
Labels : The Flenser
Tracklist
01. Man Proposes, God Disposes
02. Reiterations
03. Privilege Of Being
04. Margin For Error
05. The Commercial Nude
06. The Reclining Nude
07. We Think So Ill Of You
08. God, Or Whatever You Call It

Chronique

par Barja

The Lamb As Effigy (ou 300 XOXOXOs For A Spark Union With The Darling Divine) est un monument. Comme tous les monuments, il ne plaira pas à tout le monde. Certains le trouveront magnifique, audacieux, élégant, d’autres trop épais, trop long, moche, pompeux, d'autres le trouveront incompréhensible, passant à côté du sens qu'il semble contenir.

Et toutes ces réactions peuvent parfaitement se comprendre, tant l'écoute de ce pavé d'une heure trente-six est tour à tour intéressante, éprouvante, repoussante même parfois, mais aussi transcendante. S'il y a bien une chose que l'on ne peut reprocher à cet album, véritable digression d'un esprit résolument mégalomaniaque en totale roue libre, c'est de ne pas être créatif. Durant ce périple, l'imprévisibilité de la musique nous mène dans des paysages Noise Rock (Man Proposes, God Disposes), Sludge (Reiterations et sa construction mélodique intense prenant aux tripes), Drone / Shoegaze symphonique (l’incroyable Margin For Error, de presque vingt-cinq minutes) qui évoque le récent Lankum, le tout avec des relents Slowcore / proto Post-Rock à la Slint, et bien d’autres styles encore (sans aller jusque dans un Metal à proprement parler). Tout cet éventail Noise Rock / Post-Rock vous fera parfois penser à du Oxbow ou du Godspeed You! Black Emperor, mais par touche, par références, sans être grossier ou calqué. Et encore cela ne reste qu’un détail de ce que révèle la musique de Sprain.

Pourquoi ce paragraphe concernant l’éventail des styles et des influences que propose cet album ? Eh bien parce qu’il est très dur d’en parler à quiconque n’ayant jamais écouté l’album en question. Le propos est le but premier, la manière de le délivrer n'est pas pour autant secondaire, mais constitue une couche supplémentaire de dialogue, parfois allant dans le sens du propos, parfois en totale opposition. Véritable voyage au cœur de la psyché d’une rédemption, d’un rapport difficile avec la position de fidèle au sens religieux et de la culpabilité qui le hante, nous sommes abreuvés de paroles sibyllines et complexes. La voix que l’on découvre en débutant l’album nous parait tellement familière à la fin de celui-ci, tant le flot est ininterrompu.

Alex Kent, ici maestro de l’album, guitariste, chanteur, compositeur principal (que ce soit au niveau des cordes utilisées, violon / violoncelle / alto, mais aussi percussionniste, organiste, bref, une quinzaine d’instruments) passe de murmures à des hurlements douloureux, boule de nerfs anxieuse, prolixe et fébrile qui nous force à une intimité déstabilisante et dérangeante (son va-et-vient auprès du micro à la fin de la dernière piste God, Or Whatever You Call It, glaçant). Mais ce serait commettre une faute de ne pas citer les autres musiciens composant le groupe. La folie de Kent à la guitare est accompagnée jusqu'au bout du délire par Sylvie Simmons avec le même instrument et ses aigus claquants. Et ce n’est pas une grande surprise d’apprendre que les deux musiciens jouent ensemble depuis des années, l’osmose est ici totale. La basse d’April Gerloff est également follement créative, ne serait-ce que sur le premier titre avec ses alternances ancrage de basse harmonique/aigu saturé de tremolo, quelle créativité.

Et pour couronner le tout, la batterie jouée par Clint Dodson, jazzman amateur de bruit, tout en finesse et en souplesse vient ancrer le tout dans son moule difforme satiné d'une classe incroyable. Ce qui ne l'empêche pas de savoir se limiter à casser ses cymbales comme un demeuré lorsque les circonstances l'exigent. Bref, vous l'aurez compris, l'osmose entre ces musiciens est le pivot qui fait que toutes ces effusions fonctionnent. Sans quoi, le groupe n'aurait peut-être pas survécu jusqu'à la case enregistrement (sachant que Clint a rejoint le groupe alors en répétition pour enregistrer l’album, leur batteur du premier album les ayant quittés).

La sensation d’assister à quelque chose d’unique est présente, tout comme celle d’être spectateur d’un monologue d’une personne dérangée ayant beaucoup de comptes à régler, crachant sa logorrhée dans son coin, indifférent à un éventuel auditoire. Ce jusqu’au-boutisme fonctionne à merveille et comment ne pas être bouleversé par le très efficace We Think So Ill Of You et son final hystérique : "Imagine this, I'm the guest on some obscene talk show in a cell of moral compromise, The audience is made up of everyone that I have ever met in my entire life, Every sin I've ever committed is put up on display by screens hung around the stage, And we WATCH, WATCH, WATCH, WATCH, WATCH, WATCH, WATCH".

Pour terminer cet écrit difficile, qui n’en dira jamais assez sur ce disque tant sa densité mériterait une conférence de cinq heures, cet album devrait ravir les curieux ou aficionados du genre et nous permettra de se poser la question de comment un tel album peut exister, tant l’enregistrement a dû être un véritable chemin de croix. C'est avec des albums de cette trempe que la musique évolue. Ne nous restera que la consolation de piocher ici et là dans des lives antérieurs du groupe, prestations parfois hallucinées, interprétant certains morceaux depuis des années, les modifiant au fur et à mesure du temps, puisque seulement quelques semaines après la sortie le groupe a brutalement pris fin. Dommage, mais à en juger par les regards un peu anxieux des musiciens envers Kent pendant les lives, l'ambiance devait être parfois assez particulière. Mais certainement qu’Alex Kent n’en a pas fini avec la musique, et nous non plus avec la sienne.

18

Les critiques des lecteurs

Moyenne 18
Avis 1