L’espèce humaine nous terrifie un peu plus chaque jour, sa
perversité sans bornes, l’horreur à laquelle nos pairs peuvent céder, nous
laissent penser que l’Autre est peut-être notre pire ennemi. Mais notre lutte
incessante contre nos congénères semble effacer la menace omniprésente de la
Nature, force fascinante et sans visage, ultime maîtresse de nos vies. La Mort Du Soleil nous rappelle notre asservissement aux astres célestes conditionnant
notre existence, et lorsqu’une telle source de vie s’éteint, tous nous sombrons
dans une froide nuit d’éternité.
Cet album de Sombres Forêts est une ode à la mélancolie,
reposant sur un Black Metal hybride, alliant la froideur et l’austérité
originelle du genre à un traitement atmosphérique des riffs et de la
production. Outre des guitares saturées et le son métallique de la batterie, de
nombreux éléments contribuent à créer une ambiance bien particulière. Le one
man band n’axe pas son instrumentation vers les sonorités raw ; au
contraire la reverb se fait une place de taille aux côtés des nombreux intros,
outros ou bridges au piano ou à la guitare acoustique. Loin d’être délaissés,
arpèges et accords privés de saturation constituent un pilier non négligeable
de cette œuvre, restituant par des textures sonores éthérées les ruines d’un
obscur monde à l’agonie. A cette musique presque contemplative vient s’ajouter
une voix encrassée, malsaine, allant chercher la faiblesse qui se cache au fond
de nos tripes : Annatar se fait le conteur de noires élégies, de
complaintes aux accents désespérés, remarquables de poésie. Les paroles sont en
effet essentielles pour saisir la profondeur de cet album, la dimension romantique
qu’il contient se révèle à travers les vers et les strophes lâchés comme des
râles plaintifs, comme si chaque syllabe coûtait la vie au sinistre trouvère.
A travers les sept tracks de La Mort Du Soleil, Sombres
Forêts nous plonge dans un cadre hivernal, où vents et tempêtes nous
emprisonnent dès les premières secondes de « Des Epaves »,
introduisant un chaos sonore auquel fait écho le dernier morceau « Effondrement », uniquement
instrumental. Au milieu de ces deux maelstroms le tempo se fait relativement
lent, de quoi laisser à l’auditeur le temps d’apprécier les montées en
puissance de l’instru, crescendos conférant à l’œuvre une dimension presque
progressive. « Brumes » et ses neuf minutes en est un bon exemple,
pièce magistrale où voix et musique se complètent à la perfection dans un
lyrisme sans limites. Pour autant nous ne croulons aucunement sous une
démonstration de technique, l’artiste mise sur la spontanéité, et les motifs
les plus simples comme ceux de « Au Flambeau » parviennent à nous
porter loin du monde, pour nous capturer un instant, entre quelques notes de
piano et un riff final de guitares lorgnant vers le shoegaze. Enfin,
« Etrangleurs De Soleils » mérite également les éloges, ses
différents mouvements surprennent, et les passages les plus calmes propulsent
le chant sur le devant de la scène, rendant l’émotion d’autant plus intense.
C’est d’ailleurs cette implication si importante d’Annatar
au micro qui constitue le fil directeur de ces sept pistes, nous guidant pas à
pas comme dans un périple du crépuscule à l’aube dont l’unique membre du groupe
serait le guide. A ce jour, cet effort est sans doute le plus audacieux et le
plus réussi de Sombres Forêts, alliant avec brio une forme et un fond solides,
capables de nous retranscrire les sanglots lancinants de l’Homme, pleurant la
chute d’un astre déchu.
A écouter : en entier sans interruption