Ecrivez le, chantez-le, hurlez-le!: Les renégats romantiques venus du froid sont de retour. En 2011 les islandais ont trouvé leur style après des années de tests, et, mieux encore, un public pour y adhérer. Il n'y a rien à redire à ça: ce groupe le mérite, tout simplement. La sortie d'un nouvel album aussi rapidement à de quoi surprendre au regard des deux monuments de l'étrange l'ayant précédé mais l'attente (réelle mais encore discrète) que celle-ci suscite est là pour attester de ce nouveau statut.
Sólstafir a indéniablement quelque chose de profondément atypique, des sonorités puissantes et aériennes, entre les genres et les époques, qui ne peuvent laisser indifférente une oreille un tant soit peu curieuse. Et surtout Sólstafir avait ce sens de la composition toujours en marche, imprévisible, quasiment irrésistible - nous n'évoquerons même pas là l'expérience live. Une chose pareille ne se décrète pas, c'est impossible. Sólstafir est un groupe de talent, un vrai, donc lorsque le quatuor revient nous déposer sobrement Svartir Sandar sur un coin de la platine l'appréhension gagne inévitablement pour la simple raison que Sólstafir est déjà monté très haut. Mais si nous nous intéressons de nouveau au groupe de Reikjavik aujourd'hui ce n'est pas en espérant le voir tomber, non. Car la confiance prévaut évidemment.
Coté chiffres, Svartir Sandar affiche d'emblée une heure vingt au garrot. Sacré bestiau. Record battu, même, pour les Islandais qui s'offrent leur premier double album (ou 2xLP selon vos inclinaisons fétichistes) à l'occasion de cette sortie. Trois titres au delà des dix minutes répartis de parts et d'autre des deux galettes, une légère tendance à la baisse pour ce qui concerne le reste des compos: inutile d'aller chercher très loin les premiers signes rassurants. Sans en faire des tonnes Sólstafir semble bien avoir fait le choix de poursuivre sur sa lancée tout en révisant quelque peu son plan de bataille. Il ne faudra pourtant surtout pas se laisser tromper puisque derrière ses apparences familières et des premiers instants rassurants Svartir Sandar est une nouvelle fois un album différent.
Dès "Ljós Í Stormi", Svartir Sandar se dévoile comme l'album du retour à des sonorités plus naturelles, glacées mais chaleureuses, presque plus authentiques pourait on dire, et en tout cas plus fidèles à ce que les islandais parviennent à transmettre sur scène. Un élément, déjà, frappe l'esprit, accroche l'oreille: sans se départir de sa finesse de composition ni faire mentir son talent incomparable pour les envolées épico-mélodiques, Sólstafir semble sciemment jouer avec le frein, retenant de justesse son Rock extraverti à chaque démarrage, revirant sans cesse de bord devant le gouffre pour le confiner à une expansion sinueuse et envahissante. Le procédé est connu, la suite des évènements devrait amener la libération tant attendue. Devrait.
Car "Fjara" refuse jusqu'au bout d'être le tube réfrigéré espéré. Pire, il entretient ce premier constat inconfortable, convoquant feeling pop et cœurs féminins à la fête et, lorsque le galopant "Þín Orð" relâche l'étreinte, près de 20 minutes se sont déjà écoulées. Une petite éternité étrangement envoutante sur la quarantaine de tours de montre offerts par un premier disque qui, à la réflexion, présente Sólstafir sous un autre jour. Pleinement maitre de son univers et des ses influences, sombre et subtil, puissant et délicat ("Æra").La musique est dense, touffue même; les courants se croisent, se mellent, le Prog' se liquéfie dans le Gothic Rock, la Pop se confronte à l'esthétique Darkwave, le Post-Rock grapille ici et là quelques incursions. Et ce chant pourtant toujours présent et si singulier se fait, lui, oublier au profit d'immenses pages instrumentales dont il n'émerge que par intermitence. A mi-parcours Svartir Sandar se veut déjà plus rempli et plus inventif bien que moins référencé que l'autre petit évènement de l'année en matière de Rock expansif (Opeth et son presque trop bien nommé Heritage). Mais ne saurait s'arrêter là car, au final, ne boxe pas dans la même catégorie. Ne boxe dans la catégorie de personne ou presque. On penserait bien à Amplifier pour les prétentions et la liberté de forme mais un fossé sépare finalement les deux formations.
Quelque peu inqualifiable car trop atypique ce frisson créatif qui parcoure Svartir Sandar se voit bientôt transformé en véritable tempête sur la seconde moitié de cette nouvelle épopée de Sólstafir. Planqué, intermittent, tout en faux semblants en faces A et B, le quatuor islandais laisse ni plus ni moins exploser la bulle de mystère entourant le premier disque avant de s'y laisser enfermer. "Melrakkablús" et ses cuivres flamboyants en ouverture, puis un triptyque - magistral: "Draumfari"/"Stinningskaldi"/"Stormfari". Neuf minutes de Prog enfiévré (qui succèdent à onze autres) passionné, de sonorités 80's bouillonnantes et sublimées (cette section rythmique sur "Stormfari"!) submergées d'improbables vagues émotionnelles comme prolongées à l'infini par deux ultimes titres de Rock glacé, mélancolique, grandiloquent, musclé et épique à souhait ("Svartir Sandar", l'étrangement Led Zeppelinien "Djákninn"). Sólstafir s'affiche enfin dans toute sa vérité la plus crue, la plus débridée et imbittable. Et du haut de ses prétentions hors norme laisse son auditeur nu comme un ver, paumé entre incompréhension hébétée et enthousiasme forcené. Saisissant.
La moindre compo de Svartir Sandar permetterait d'emplir des pages entières au risque de transformer un article déjà à rallonge en manifeste indigeste. Soit l'exact contraire de ce qu'est réellement Svartir Sandar, disque richissime mais charmeur en diable qui s'adresse au coeur avant de parler longuement à la tête. En 2011, Sólstafir est toujours aussi islandais que par le passé. Ne serait-ce qu'en raison de textes à nouveau entièrement écrits dans leur langue mais aussi parce que comme pour nombre de leurs compatriotes nous semblons devoir rester impuissants à comprendre d'où ils sortent ces albums à tiroirs multiples et au son improbable, pas plus que nous ne savons tout à fait ce qui peut faire tenir cet alliage musical de bric et de broc qui, envers et contre tout, se révèle être d'une classe admirable. Sólstafir continue donc de progresser à mi-chemin entre génie artistique et hérésie musicale, insaisissable, au moment même où le père spirituel s'apprête à clore un chapitre en apothéose (DVD live en Mars 2012 et promesses d'une nouvelle orientation musicale). De là à y voir un passage de flambeau il n'y a qu'un pas que nous vous laisserons franchir. Car dans l'intervalle et au delà des symboles, la musique des islandais triomphe et brille de ses propres feux.
A écouter : 1
excellent, les 2 premiers titres sont sans conteste fabuleux. Un groupe atypique !