Solefald est une formation aux visages multiples, Black ambitieux puis foutraque et avant-gardiste (The Linear Scaffold / Neonism), Rock/Heavy puis Prog à l'ancienne comme moderne dans le moindre de ses recoins (Pills Against The Ageless Ills / In Harmonia Universali) ou viking, traditionnel et transgressif (les deux parties de leur Icelandic Odyssey) par intermittence. Cette liberté de ton, gagnée de haute lutte envers et contre les codes de leur famille d'origine, leur a toujours réservé une place à part sur l'échiquier Norvégien pourtant moins avare en bizarreries et bifurcations stylistiques que l’on se plait à le croire. De Darkthrone à Burzum ou encore Ulver et Enslaved sans oublier Emperor, les figures slaves emblématiques du panda-Metal national et international nous ont habitué à des revirements discographiques et explorations souvent un peu à leur image: radicaux.
Cette capacité à contrebraquer est précisément ce qui caractérise l'association de Cornelius Jakhelln et Lars A. Nedland, les deux hommes l'ayant érigé en véritable leitmotiv. Une instabilité savamment entretenue comme une marque de fabrique, aussi paradoxaux ces incessants changements d'identité puissent-t-ils paraître. Intenables, en renouvellement permanent, ils n'ont jamais vraiment su, pu ou même désiré faire partie de la bande. Leur ancienneté le leur aurait permis. Leur (vision de la) musique les en a toujours tenu à l'écart. Car on ne sait jamais vraiment à quoi s'attendre lorsqu'un nouveau Solefald sort des studios, si ce n'est à quelque chose d'"autre" qui ne fera que prolonger l'épopée solitaire des deux Osloïtes aux confins des genres. Norrøn Livskunst c'est cela, une nouvelle fois. Mais pas une fois de plus, donc.
Peut être un peu moins sophistiqué qu'au coeur de ses années les plus fastes, Solefald se montre aujourd'hui direct, décomplexé, quitte à déplaire. Non pas que la formation norvégienne ait cultivé quelconque complexe ou science de la retenue et du compromis jusqu'à présent, loin de là, mais il apparaît évident qu'on l'a connue plus ambitieuse dans ses envies de renouvellement, même si le résultat n'a pas toujours été pleinement au rendez vous (Black for Death, par exemple). Cornelius et Lazare font entrer leur création dans un univers à la fois plus difficilement identifiable et étrangement familier, sorte de condensé de 15 ans d'explorations où riffing métallique dur et mélodies épiques croisent le fer avec discrets ovnis électroniques, grandiloquence dramatique et clavier vintage passé au filtre sci-fi. Faute d'évolution, le groupe semble faire le point.
Le travail sur le double chant, si atypique, toujours présent, se fait plus discret au profit des guitares, tranchantes, auxquelles un traitement tout particulier a été apporté (Hugferdi, Raudedauden), le saxophone et les montées vers l'embrasement metallique font leur retour (l'enchainement Eukalyptustreet / Raudedauden, véritable tournant du disque), quelques étrangetés avérées désarçonnent durant un bon paquet d'écoutes (Tittentattenteksti feat. Crazy Frog Agnete Kjølsrud , Hugferdi qui vous transporterait presque en pleine partie de DoDonPachi), le prog rétrocède du terrain pour laisser la place aux envolées épiques les plus frontales de l'Icelandic Odyssey (Norrøn livskunst). La liste pourrait encore être longue tant, comme à son habitude, Solefald brouille les pistes et entremêle les références pour créer son alliage singulier. Avec Solefald plus qu'avec tout autre groupe, l'écoute s'impose pour (ne pas) saisir l'atmosphère qui émane de leur Metal polymorphe, moderne, passéiste, urbain et folklorique à la volée et s'en imprégner.
Nous avions jusqu'alors connu une multitude de Solefald et n'en garder qu'un, embrassant l'ensemble des facettes abordées par le duo depuis 15 ans, là où un album entier était généralement nécessaire pour les développer présentait le risque d'enfanter une création difforme. Il n'en est pourtant rien quand bien même l'ensemble, tentaculaire et prompt aux revirements (un peu trop) étourdissants, se montrera surement indigeste pour un non initié. L'expérience n'est finalement pas très loin de celle qu'aura pu occasionner la première écoute de Neonism, disque génialement imbitable, en plus accessible, plus puissant, plus mélodique, plus axé sur le riffing et l'efficacité, plus maitrisé - ils ont depuis appris à dompter leur élans - et plus "traditionnel" à la fois. Plus "tout" en somme, mais avec un effet de surprise moindre bien que toujours présent. Une sortie un peu trop pleine et loin d'être leur meilleure création (c'est dire le niveau des sommets déjà atteints), donc, mais que l'on ne peut s'empêcher de renfourner encore et encore dans le lecteur et d'apprécier au fil des écoutes, même dans ses exagérations les plus borderline. Parce qu'après tout cette musique à part exécutée par une formation à l'ouest n'obéit qu'à une seule logique: la leur. Ce n'est pas encore cette fois que nous la percerons à jour, et tant mieux. L'aventure continue.
A écouter : Heu.. Joker?