L'écoute de Spiderland est une expérience unique dont personne ne sort indemne. Au-delà de toutes les analyses, dissections, interprétations, décompositions, au-delà de l'impact et de l'influence de cet album, érigé à juste titre en chef-d'oeuvre, il reste une musique indéfinissable, inclassable, infiniment subtile et complexe, dont la force et la profondeur mènent aux limites du supportable.
Car Slint transcende toutes les musiques, créant la sienne propre, aux réminiscences sublimes. Et les chansons, telles des poèmes frissonants, s'écoulent comme autant de songes frôlant le cauchemar, perdus dans des brumes opaques et lugubres. Immersion dans un monde étrange, sombre et inquiétant.
Dérive au long d'une musique fascinante, chaotique et lancinante.
Malaise latent, menace larvée, souffrance imminente.
Jaillissement de sons aigüs, acérés, cinglants, transperçant la chair, vrillant synapses et neurones. Musique insidieuse, triturant le corps et l'âme jusqu'aux spasmes nauséeux, musique hypnotique qui prend possession de l'esprit et le taraude sans relache. Spoken words énigmatiques, glaçant les sens et le sang ("Nosferatu Man").
Tension permanente, immanente.
Sur cet exquis supplice, viennent, telles de délicates et légères feuilles mortes, se déposer des mélodies d'une fragile nudité, frêles et vulnérables ; les spoken words se font alors carressants, rassurants et sensibles. Remission éphémère, havres incertains où la mélancolie mène à un obscur désespoir, où l'amour, impuissant, devient dissonant et disharmonique, où, toujours, le malaise, l'inquiétude s'insinuent, s'amplifient, jusqu'à dominer, jusqu'à tyranniser ("Washer").
Angoisse, tourment, prostration.
Et quand les riffs se font plus puissants, plus violents et la tension extrême, le corps, au bord de la rupture, n'est plus que nerfs à vif et se recroqueville en position foetale. La tête entre les mains, dans un balancement névrosé, on s'adonne comme une drogue à cette musique déréglée. Et les cris déchirants de détresse, désespérés, qui clôturent l'album, n'apportent aucun soulagement, aucune consolation, ne laissant à chacun que solitude et désarroi ("Good Morning Captain").
Et souvent, lors des mornes journées automnales, quand les larmes de pluie s'abattent sur les vitres, les mélodies de Slint et les mots de Baudelaire s'enlacent et s'enchevêtrent. Et de mes yeux embués coulent des larmes, car Spiderland n'est autre que le reflet de nos vies.
Sur Myspace, en live : For Dinner, Nosferatu Man, Breadcrumb Trail
Meilleur album de tous les temps. Tout le reste est superfétatoire.