La ville de Manchester n'a pas été avare en formations de qualité : The Smiths, New Order, Joy Division, The Fall et, depuis maintenant quelques années, Sleaford Mods. Difficile pourtant de faire moins sujet à la hype qu'un duo de quarantenaires au jeu de scène inexistant qui déverse son dégoût de la société dans une explosion de postillons suintant la bière chaude. Après un Exide And Divide acclamé par la critique, les Anglais auraient pu prendre leur temps et se reposer mais Key Markets sort moins d'un an après.
Autant jouer carte sur table, puisqu'avec ce groupe on peut difficilement faire autrement, rien n'a changé ou presque depuis cet illustre prédécesseur. Sur un fond instrumental Post Punk où la basse et la boite à rythme règnent en maîtres, le vocaliste chante (parle?) et expose ses créations littéraires. Les figures de style suivent les jeux de mots cyniques et les critiques acerbes sans que l'on ait jamais besoin d'ouvrir un dictionnaire : « populaire », dans son sens premier, mais loin d'être stupide. C'est l'impression qui se dégage des compositions de Sleaford Mods qui font avec ce qu'ils ont, envoyant balader les moyens colossaux et les artifices pour se concentrer sur l'essentiel : le groove et le message.
N'allez pas pour autant croire que tout le monde appréciera ce disque. Les instrumentations sont circonscrites au minimum, rachitiques, sans aucune emphase sur des quelconques riffs ou structures mélodiques. Point de travail en studio de longue haleine non plus mais de simples boucles, répétées tout au long de courts titres qui amorcent une hypnose progressive, proche de ce que mettrait en place des groupes de Post Punk ou de Hip Hop Minimalistes voir même Loop, le côté psyché en moins. On est alors tenté de citer The Fall même si le dépouillement qu'impose le duo va beaucoup plus loin que ce que propose Mark E Smith. Dépouillé des fioritures, Key Markets l'est assurément mais il pullule pourtant de bonnes idées qui, petites touches par petites touches, offrent à chaque piste sa personnalité et on se surprend à chantonner le refrain de « Bronx In A Six », à trouver la basse de « Silly Me » sensuelle et envoûtante tandis que « Cunt Make It Up » reste indéniablement la plus grande réussite du disque.
Sleaford Mods a trouvé sa vitesse de croisière et l'on peut déjà entendre les critiques les plus virulentes reprocher le manque de prise de risques que représente Key Markets. Qu'importe, les fans trouveront ici douze morceaux de qualité tandis que les autres passeront leur chemin. Même si l'on espère retrouver les deux Anglais pour de nouvelles envolées lyriques alcoolisées, on ne saurait que trop leur conseiller de ne pas rentrer dans le travers de la discographie immobile puisque ce serait bien dommage de gâcher un tel talent.
A écouter : Bronx In A Six, Cunt Make It Up, Silly Me, Face To Faces