1985. Le punk hardcore est mort. Thank you, and good night. Circulez, il n'y a plus rien à voir. C'est sur ce rideau torrentiel que prend racine la scène emotional-hardcore, appellation immédiatement reniée par les groupes, qui se considèrent avant tout, et à raison, comme punk. Ian MacKaye dira lors d'un concert avec Embrace, "L'emocore doit être la chose la plus stupide que j'ai entendu de toute ma vie". Quoiqu'il en soit, Washington DC est alors connue pour ses dealers de crack mais aussi pour une scène locale florissante donnant autant dans le mainstream que dans l'underground. Un peu plus au nord, vers Baltimore, l'étoile Moss Icon s'illumine, les fondamentaux Embrace et Dag Nasty se forment sur les cendres de Minor Threat et quelques mois plus tôt, il y avait surtout Guy Picciotto et Rites Of Spring.
End On End regroupe la totalité des enregistrements de Rites Of Spring : 17 titres rassemblés une première fois par Dischord en 1991, mais surtout, un album pour comprendre le "Revolution Summer" et la métamorphose de l'ensemble de la scène punk de Washington DC. Pour se tenir à l'écart de la vague de violence qui ébranlait et gangrenait la communauté hardcore punk, il fallait marquer la cassure musicale, ralentir les rythmes et adopter une véritable posture artistique incluant des paroles réfléchies, voire introspectives, et des mélodies plus alambiquées. Il en résulte une musique nuancée et plus mature dont le LA est donné par le Zen Arcade de Hüsker Dü. Il est impossible d'évincer ce contexte euphorique, à la base d'une génération entière de musiciens et de ce que l'on ira jusqu'à nommer le "DC Sound", sous peine de retenir de Rites Of Spring une musique périmée, bâtarde et perfectible, hétérogène et mal enregistrée.
Picciotto voit en Rites Of Spring une véritable catharsis et le biais d'extérioriser les non-dits réprimés et enfouis au plus profond de lui même. "All I want is release !" ("Drink Deep"). C'est ainsi que sur des bases punk rock, Rites Of Spring déroule le tapis rouge pour une meute sauvage d'émotions personnelles, qui trop longtemps contenues, s'expriment de manière crue, exacerbée et presque dramatique. Les paroles noient la colère dans un désespoir touchant, répandu par un chant hargneux qui dégringole vers des tirades fébriles et mélancoliques. C'est la large palette de sentiments suscités qui pousse inconsciemment Rites Of Spring à mettre son tableau à niveau, à inventer des lignes originales de guitares et de basses, à nuancer les rythmes et à planter des coups de théâtre à répétition. Il en ressort des tubes proto-emo aguicheurs et immédiats ("For Want Of"), des brûlots punk ("Spring") mais aussi des frasques aux tempi ralentis, empruntes de relents pop (post punk ?) et touchées par une certaine naïveté attachante ("All Through A Life") ou totalement désespérées ("Drink Deep").
C'est finalement cela, cette propension à exploser spontanément depuis des racines punk vers de multiples dimensions, de plonger dans un boyau obscur pour rebondir vers une parcelle de lumière, qui sera la toile de fond de ce que l'on s'efforce encore de rationaliser et de pointer du doigt comme le mouvement emo.
A écouter : Drink Deep - For Want Of - Spring - All Through A Life