Digne des plus puissantes superproductions hollywoodiennes, la machine Prophets Of Rage est en route depuis mai 2016. Cliché éculé ? Les ingrédients et la recette semblent pourtant suffisamment similaires pour que l’on puisse s’autoriser le parallèle : un casting de superstars des années 90 sur le retour (trois ex-Rage Against The Machine -seul manque à l’appel Zach de la Rocha-, B-Real de Cypress Hill, Chuck D et DJ Lord de Public Enemy) associé à un plan de communication jouant à la fois sur une identité visuelle forte et évocatrice d’un glorieux passé (l’utilisation du poing levé et de l’étoile rouge chères à RATM) et tirant parti d’un brillant sens de l’à-propos (leur campagne anti-Trump) magnifié par une maîtrise du verbe au travers de slogans dignes des plus grandes agences de communication (« Make America Rage Again »). Les prophètes sont donc doués en matière de communication, ce qui n’est pas grande une surprise. Mais qu’en est-il sur le plan musical ?
« Prophets Of Rage combines the sonic firepower of Rage Against The Machine, Public Enemy and Cypress Hill »
La longue chronique des supergroups est pavée de promesses non tenues. Autant le dire tout de suite, Prophets Of Rage n’échappe pas à la règle. Oui, n’en déplaise à Aristote, dans le domaine musical, la totalité n’est généralement pas supérieure à la somme de ses parties. Le péché originel de Prophets Of Rage est que celui-ci nous a été vendu comme une résurgence de Rage Against The Machine, chose à de nombreux égards totalement impossible. Sans même parler de l’absence de Zach de la Rocha, on y reviendra plus tard, RATM était le produit d’une combinaison de facteurs qui ne peut être reconstituée : une époque, une jeunesse, une rage. Se lancer dans une reformation en n’étant tourné que vers le passé est de facto voué à l’échec, le tout finissant irrémédiablement par ressembler à de l’auto-plagiat. C’est exactement ce qui se passe ici. Remettons cependant les choses là où elles doivent être : les riffs uniques de Tom Morello sauvent une bonne partie de l’album. Le talent ne s’est pas évaporé en quelques années, mais tout cela sonne quand même comme un ersatz relativement peu inspiré de RATM (l’intro de Legalize Me frôle le plagiat du riff introductif de Testify). Dans ce contexte, difficile d’apprécier à sa juste valeur la performance vocale du duo Chuck D / B-Real tant persiste l’impression d’entendre une succession de featurings dans lesquels la tête d’affiche n’a pas encore posé sa voix. Hormis quelques égarements (comme les effets sur Legalize Me, probablement le plus mauvais titre de l’album), il faut cependant reconnaître que le job est plutôt bien fait, les deux lascars possédant des voix aux grains très caractéristiques.
Malgré toutes ses limites, Prophets Of Rage n’est pas à jeter à la poubelle pour peu qu’on ne le prenne pas pour ce qu’il n’est pas. Certes, il échoue globalement à dépasser la signature musicale du groupe dont il est l’émanation (Take Me Higher se distingue néanmoins avec son ambiance très Cypress Hillesque), certes l’ensemble manque de relief et de « tubes », certes la révolution annoncée semble parfois un peu adolescente (Legalize Me) mais pour autant son écoute n’est pas désagréable et satisfera les trentenaires avides d’un revival des années 90. Il y a en effet quelque chose d’assez surprenant dans la résurgence médiatique de ce style qui fut renié pendant plus d’une décennie (Powerflo, qui réunit des membres de Cypress Hill, Fear Factory, Biohazard et Downset vient également de sortir un premier LP). Même si la référence du genre reste pour moi Skull and Bones, ne soyons pas rabat-joie outre-mesure, ces six-là auraient pu se contenter de reprises de leur formations d’origine pour remplir les salles et se faire un max de blé.