Le regard porté aujourd’hui sur les Pixies, par le public, souffre d’une profonde division : certains y voient un groupe intemporel au génie trop peu reconnu, d’autres des musiciens médiocres prisonniers de leur époque. Il est vrai que la personnalité inaccessiblement accrocheuse des compositions de la bande de Boston a de quoi séduire et rebuter, un mélange doucereusement acide qui ne cessera de partager les masses.
Alors que Sufer Rosa, disque au combien vénéré, souffrait malgré tout d’une production crade (le rock c’est sale, c’est bien connu…), Doolittle ouvrait une voie bien plus audible où les sombres et tortueux délires saturés de Francis Black prirent toute leur ampleur. Proche de David Lynch, l’album, des ambiances jusqu’à l’artwork, est imprégné par un univers glauque et symboliquement surréaliste. Ce goût pour la culture de l’absurde et du non-sens envahit chaque parcelles des textes, brûlant peu à peu nos neurones, condamnant toute retraite. Le libre arbitre nous ai retiré : explorer l’impasse devient l’unique option.
Doolittle est une entité schizophrène, la diversité des émotions et des sonorités sont autant de personnalités en conflit qui pousse la créature vers une instable hétérogénéité. Mais les Pixies ne souffre d’aucune crise identitaire et aussi chaotique que puisse paraître certains enchaînements, les musiciens se jouent des styles et défient la linéarité, enterrant ainsi lassitude et ennui. Pop-rock, ils le demeurent instaurant le règne d’une efficace simplicité (Debaser, Wave Of Mutilation, Gouge Away), laissant libre court aux agressions électriques et aux folies vocales. Le ton s’allège quelques minutes le temps d’accoucher d’un tube en puissance chargé de bonne humeur : Here Comes Your Man est sûrement l’une des compositions qui marquera le plus les esprits, sa mélodie hantant jusqu’aux moins convaincus d’entre nous. Le reste du chemin nous replonge dans d’obscures eaux, de rares bouffées d’oxygènes nous étant offertes : Mr Grieves et sa rythmique festive, La La Love You et ses allures décalées sont autant de fenêtres vers la lumières du jour. Mais de lumière il n’est pas nécessaire en compagnie de Francis Black, même les plus sombres balades, chargées de hurlements déstructurés, sont des îlots de bonne humeur. Le paradoxe se situe dans cette capacité qu’on les Pixies à engendrer des chansons simples mais d’une sincérité touchante (Hey, Monkey Gone To Heaven), la voix si particulière de monsieur Black, soutenue par la légèreté de celle de Kim Deal, y étant pour beaucoup. Il ne suffit plus que de quelques rythmiques bien senties saupoudrée de savoureuses lignes électriques pour achever de nous semer dans leur obscur dédale.
Les Pixies signèrent avec Doolittle leur album le plus troublant mais aussi le plus marquant. Il succèdera à des origines cultes, pour les amateurs, mais bien souvent trop peu connu par le grand public et précèdera une suite plus mélodieuse et accessible. Mon regard n’a rien d’innocent, les pensées déjà rongées et le cœur dévoré par l’acidité d’un des groupes qui restera à mes yeux un pilier du rock des années 90.
Pas aussi bon que le premier, mais super quand même.
Ma chanson préférée de l'album est Debaser(la première)