Biographie

Pink Turns Blue

Groupe issu de la scène Post-Punk allemande Pink Turns Blue, est une formation aussi influente que relativement obscure. Formé en 1985 dans la région de Cologne autour de Marcus Giltjes, Tomas Elbern et Ruebi Walter, PTB signera pas moins de sept albums en dix ans d'existence, participant notamment à façonner un courant Dark Wave naissant. Séparés en 1994, les membres d'origine se réuniront une première fois en 2003 avant de disparaître de nouveau brièvement pour revenir en 2005 avec un lineup remanié suite à la défection de Tomas Elbern, déjà affairé avec son projet Escape With Romeo.

Sous cette nouvelle forme le groupe, toujours en activité, est depuis repassé par la case studio et enrichi sa discographie de trois nouvelles sorties.

Chronique

16.5 / 20
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If Two Worlds Kiss ( 1986 )

Question d'age ou d'éducation, il n'était pas rare jusque récemment que les années 80 soit musicalement éclipsées par les décennies qui l'entourent, à de rares exceptions prêt... et pas toujours les bonnes. Lorsqu'il s'agit, par exemple, d'aller vampiriser quelques sonorités pour un revival en carton-pâte ou encore d'en moquer - probablement à juste titre - les aspects les moins recommandables, notamment. Les années 1980 sont pourtant une époque charnière, perdue entre deux périodes de durée équivalente, royaumes absolus du Rock, du vrai, et de ses dérivés les plus durs. Une époque de renouvellement, de remise en question, d'expérimentations sonores radicales aujourd'hui encore parmi les plus improbables et parfois les plus imbuvables qui soient. L'ère du synthétiseur, de l'après punk, d'une vague nouvelle, du kitsch magnifique, de l'avènement d'une musique qui s'invente "industrielle" et du crust punk, de la musique comme alternative et "en récation à". Cette époque c'est celle aussi l'age d'or de l'effroyablement génial keytar et de l'Angleterre de Thatcher, quelque part entre symptômes et poisons d'un underground en ébullition, aussi.

Au milieu de cette période un peu plus occultée que les autres, les noms les plus retenus par le grand public auront été pelle-mêle U2, QueenREM, Depeche Mode et The Cure - tous aussi indubitablement et irrémédiablement britanniques qu'indirectement responsables d'avoir fait passer tout le reste au second plan. Les membres de Pink Turns Blue, pour leur grand malheur n'étaient justement pas des sujets de la couronne et ont grandi, métaphoriquement parlant, au pied du mur. Du bon coté. Ou de l'autre - question de point de vue. Pink Turns Blue n'est pas non plus, rétrospectivement, le groupe le plus singulier de son époque. Autant dire que se faire une place sous le soleil glacé des musiques alternatives à l'échelle internationale lorsque l'on joue dans le dos d'un continent tourné tout entier vers le pays de l'Union Jack n'était pas vraiment le chemin le plus aisé. Et pourtant l'Allemagne elle aussi sortira nombre de groupes de qualité. Ceux-ci, à l'image de Pink Turns Blue seront juste encore un petit peu plus occultés. Et on aimera peut être d'autant plus les ressortir. C'est aussi un peu ça le jeu, depuis toujours. Ne nous mentons pas.
Pink Turns Blue a pourtant alors tout des plus grands au sens radiophonique et qualitatif du terme. Loin, très loin des fulgurances enterrées des légendaires The Ex (l'exception continentale) et autres The Pop Group, le quatuor originaire de Cologne avait choisi d'embrasser pour If Two Worlds Kiss le versant ultra mélodique et entraînant d'un édifice Post Punk déjà en perdition. Cette évolution récente d'un courant aussi acharné dans sa volonté de déconstruction que d'une durée de vie météorique, c'est la New Wave (en version courte). Un terme et un genre honni car, il est vrai, trop souvent synonymes d'attentats sonores mercantilistes au dernier degré. C'est pourtant bien ce chemin tortueux entre piège casse gueule et autoroute de la facilité que prend Pink Turns Blue en 1986 pour son premier album. En faisant le choix d'une juste sobriété, PTB évite avec adresse l’écueil de la pop fluo et, encore mieux, s'offre le luxe de tracer les prémices d'un nouveau sillon. Tout à la fois dans la plus pure tradition de tristesse résignée fraîchement amenée à de nouveaux sommets par la bande à Smith (Robert) et dans une optique plus rythmée les allemands travaillent quelques mois, dans leur coin, un hybride clair-obscur. Mais obscur, avant tout.
If Two Worlds Kiss est leur golem musical. A demi inachevé, il expose pourtant tout à la fois un savoir faire réel, des inspirations fortes en british accent superbement assimilées, des imperfections visibles et une personnalité forte qui, toutes exploités sur une même galette, permettront au groupe de tenir là son disque de référence. Sous un cœur New Wave hypertrophié battant à plein régime, des guibolles taillées pour la piste de danse, forgés au contact d'une scène Allemande frémissante. Au dessus, un crane empli de romantisme noir qui, petit à petit, va se faire de plus en plus lourd au point de tout écraser (Meta, deux ans plus tard). Une fois If Two Worlds Kiss en action, le dancefloor se remplit de sueur et de larmes à mesure que les tubes 80's pleuvent. Partagé entre moments de pure mélancolie (superbe "I coldly stare out", "A moment sometimes"), grondements froids ("Walking on Both Sides", "That was you", "If two worlds kiss") et résignation ("When it rains", "Missing you", "After all") tous déclamés par un frontman à la croisée des manières de Smith (The Cure), du désespoir caverneux de Curtis (Joy Division - flagrant sur "When it rains")) et de l'emphase de Birdy (The Chameleons), Pink Turns Blue tire son épingle du jeu pour proposer sa lecture personnelle de la bande son de l'autre première moitié des années 80, entre un classicisme aux influences déjà évidentes et cette volonté manifeste et quelque peu généralisée de proposer autre chose autrement.

If Two Worlds Kiss est un disque typique de son époque à un point qui fera surement, aujourd'hui encore, autant fuir les plus allergiques qu'il pourrait surprendre par le travail de composition, entre subtilité insoupçonnée et urgence, dont il témoigne. Admirable tant sur les mélodies et les ambiances servies que par la puissance délivrée lorsque joué au volume adéquat, remarquable par cette sensation toujours persistante lors de l'écoute et un peu grisante d'avoir à faire à un de ces groupes partis à l'assaut d'un terrain musical alors (encore) relativement neuf et vierge d'héritages trop pesants. Sur ce genre de disques, la partie se joue à quitte ou double, comme souvent. Rien à perdre, tout à gagner, dont une porte d'entrée remarquable vers une époque qui gagne sans le moindre doute possible à être revisitée.