Pan Sonic

Electro / Avant-Garde

Finlande

Kesto

2004

Chronique

par manulerider

Kesto est une masse puante, un tas de gerbe et de moisissures, putride, plein de mouches et d’insectes rampants. C’est un reste, une décomposition avancée de la musique, un message abstrait obsédant. Oubliez ce que vous savez, oubliez le rythme, la mélodie, ils sont morts dans d’atroces souffrances, écrasés, humiliés, torturés de telle manière que leur âme fût perverse à leur dernier souffle. Le commun tournoie, béat, dans le passé, l’idm est d’une banalité navrante. L’essence même de Pan Sonic n’a de sens que dans la répétition incessante de boucles courtes évoluant sans cesse en longueur, en volume, en distorsion. Le son se dérobe, rien ne tient, vous nagez dans un mélange de liquide gluant et de vide, happé, envahi, impuissant. C’est votre cervelle qui produit les sons, tout vient de votre intérieur, Pan Sonic ne fait que révéler les formes et les couleurs que vous avez dans le crâne, tout n’est que fange ronde et piquante, stérilité intellectuelle infinie. En quatre pièces et autant d’heures, Kesto annihile toute possibilité de réflexion, met en œuvre sa puissance hypnotique et crée l’accoutumance. Musique totale ou anti-musique, violence et désespoir ou absence de sentiment, répulsion ou puissante fascination, laideur ou appréciation esthétique superflu ? Ne répondez pas, ne vous posez pas les questions.

D’une ambition extrême, Kesto est le chef d’œuvre de Pan Sonic, son œuvre complète et totale, son manifeste à la destruction, à la destruction même de la destruction. Rien ne reste dans la musique du duo finlandais, tout évolue sans cesse et glisse de vertige en vertige. Bien que cet art des finlandais prenne toute sa dimension - notamment physique – live, ce quadruple album propose l’expérience studio du groupe la plus immersive et complète, longue, palpitante, variée, prenante et fouillée. La figure de proue de Kesto, présente sur le premier disque, est massive, puissante, destructrice. Elle vous rabaisse plus bas que terre dans une harsh noise sourde et grondante. Jamais le chaos n’a été aussi vide, la folie aussi amorphe, et la décrépitude choit tout droit vers le néant, dans une perpétuelle décomposition aux cycles elliptiques. C’est assurément le visage du Pan que l’on retiendra, impitoyable, provocateur, nihiliste et violent, celui que le groupe a montré lors de ses dernières prestations live, le visage le plus charismatique qui brûlera l’auditeur ou le fascinera. La deuxième heure de Kesto est bien plus subtile, plus sinueuse. Bien que toujours chaotique, elle glisse vers des bruits moins amples, moins pointus. Tout crépite, comme un rêve fiévreux et s’enlise dans l’âme doucement, libérant ça et là un glitch désagréable et envahissant qui serpente longuement en continuant cette ode à la destruction, au vide volumineux. Pansonic avance petit à petit vers des plans plus ambiants, plus construits et travaillés, qui constituent probablement les moments les plus musicaux du voyage, où les boucles offrent même bien souvent des tempos auxquels s’accrocher le temps de quelques encablures. On retrouve ainsi le groupe tel qu’on avait pu le voir sur Aaltopiiri quelques temps plus tôt, autrement dit, le dernier visage qu’avait eu Pan Sonic avant la sortie dont il est question. Le troisième volet des quatre que compte Kesto est de loin le plus dur d’accès, un pur disque de musique concrète lente et cognitive qui pour autant, comme tout moment que produit Kesto, est d’une spontanéité terrifiante. Les sons d’origines plus variées que jamais portent à tendre l’oreille, à aller chercher les nappes qui s’immiscent en vous, sortant ça et là, frelatent vos pensées et vous cachent les cieux, si nuageux eurent-ils été. Vicieux, Pan Sonic agresse, violente, en écrasant par intermittence le malheureux qui a concentré son attention, produisant des chocs sonores puissants et soudains, crasseux et stridents. Reste ce dernier disque, plus épuré encore, ambiant et clairement un hommage à Charlemagne Palestine (avec qui Pan Sonic a travaillé sur la collaboration Mort Aux Vaches) qui sublime le tout, sorte de voyage introspectif, lent, à la progression interminable et feutrée. Avec ce dernier élément (dont l’intérêt pourra certes être discuté), les finlandais vont au bout de leur démarche, atteignent le vide, le néant et l’absence totale de ressenti.

Kesto assoit la manière de faire de Pan Sonic, dénuée d’esthétisme positif dont il n’est même pas lieu de faire été ici. Celui du duo est fort, encombrant, d’une puissance folle, il est libertaire et sans bornes, ne recherche pas la beauté et travaille uniquement sur le son en sculpture perpétuelle, sur sa déformation travaillant pour lui même.  Fatalement, et bien plus que pour bien des groupes de noise qui ne font « que » du bruit, le pouvoir de fascination et d’introspection qu’a la musique de Pan Sonic est énorme, et cela vient du fait que jamais, malgré ses nombreux visages,  y compris en touchant à la musique concrète, Kesto n’étale son intellectualisation en aucun moment, et c’est peu dire que la formation, qui vient de terminer sa tournée d’adieu à l’heure où j’écris ces lignes, est l’un des piliers de la liberté de ces scènes bruitistes, l’une des formes les plus avancées de musique à mon sens.

18

Les critiques des lecteurs

Moyenne 0
Avis 0