Ostura

Metal Progressif

Liban

The Room

2018
Type : Album (LP)

Chronique

par Zbrlah

Certains groupes ont trouvé une niche qui leur confère une certaine originalité, voire même un capital sympathie acquit d'emblée, pour le courage d'avoir osé une démarche inédite. Il n'y a que Ghost qui fait du Ghost, par exemple. Mais si une autre formation s'invite dans ce secteur restreint, les comparaisons seront d'autant plus inévitables et souvent au détriment des "imitateurs". C'est pour ça qu'on peut avoir un mauvais apriori sur Ostura, qui empiète sur des terrains de jeu déjà réservés aux grands. Dans la très petite famille des formations pouvant produire des disques de Metal qui soient mélodiques, conceptuels, novateurs, chargés d'émotions mais aussi de technique, le tout en restant accessible et en impliquant trouze-mille invités, nous avons Ayreon d'un côté (plutôt Prog) et Avantasia de l'autre (plutôt Power). Et désormais, Ostura, au milieu.

Mais les Libanais ne laissent aucune chance au doute, et les préjugés s'effacent très vite avant même la fin de la première écoute de The Room. Ostura, du haut de son deuxième album à peine, arrive déjà au niveau des cadors du genre.
Nous avons donc affaire à un concept-album racontant l'enfermement dans une "Room" d'un personnage sobrement nommé The Girl, afin de se protéger d'un monde changeant et terrifiant, de réfléchir au sens de ses changements et à la place qu'on occupe dans cet univers évolutif. Un sujet sérieux, introspectif, et difficile à retranscrire, qu'Ostura traite de façon somptueuse, tant par le choix des mots que par une musique tantôt mélodique et émouvante, tantôt agressive et intrusive.
Cette musique, justement, est toujours menée par un clavier inspiré qui joue pour beaucoup dans l'immersion dans The Room. Souvent discret mais toujours présent, que ce soit avec un son de piano, de cordes, ou de tout un orchestre, Danny Bou-Maroun apporte un côté cinématographique et poignant à ses compositions. Bien entendu, impossible pour lui d'assurer seul la qualité indéniable de cette sortie, et ses comparses ont tous leur impact sur l'auditeur ; à commencer par le jeu de batterie créatif et virtuose de Alex Abi Chaker (remplacé pour l'enregistrement par Thomas Lang (Vienna Art OrchestrastOrk, Paul Gilbert...), rien que ça). Aux guitares, rien à redire non plus, le boulot est parfait. Mais citons néanmoins la capacité qu'a Ostura à s'entourer des meilleurs guitaristes, mais surtout au meilleur moment. Citons par exemple le solo hypnotique mais très peu technique de Arjen Lucassen (Ayreon) en raccord avec la mélancolique Darker Shade Of Black ; ou à l'inverse, les leads plein de maestria de Marco Sfogli (guitariste des albums solo de James LaBrie de Dream Theater), cohérents dans Deathless, titre sans concession.
Les influences orientales qu'on attend (stéréotypiquement) d'un groupe libanais sont présentes (Escape, Erosion), mais ne sont ni grandiloquentes ni systématiques. On pourrait plutôt les voir comme un des éléments mélodiques utilisés au fil de The Room, comme pourraient l'être un contre-chant ou un riff de guitare : le groupe a simplement eu l'idée de s'en servir à tel endroit.

Ayreon a déjà été mentionné plusieurs fois, mais impossible de terminer cette chronique sans évoquer l'influence majeure que le projet de Arjen Lucassen semble avoir sur Ostura. On ressent entre autre l'impact du Néerlandais sur certaines constructions et sur quelques lignes de chant dans Only One, dans Darker Shade Of Black (dans laquelle est invité Arjen Lucassen, justement), ou dans Escape (dans laquelle le timbre de Youmna Jreissati est facilement associé à celui de Marcela Bovio (Stream Of Passion, Ayreon, c'est-à-dire deux projets d'Arjen Lucassen))... Notons aussi l'intervention, en tant qu'un des personnages principaux, de Michael Mills (Toehider) qui s'est fait connaitre grâce à ses apparitions dans The Theory Of Everything et The Source, les deux derniers albums studio d'Ayreon. (Il est d'ailleurs tout aussi impressionant chez Ostura, en particulier dans les couplets de la fantastique Deathless.)
Néanmoins, cette influence très marquée est très bien assimilée et la formation propose une oeuvre personnelle qui dépasse de très loin le statut de copie. De plus, d'autres repères, piochés ça et là, permettent de se démarquer encore du Néerlandais : moins d'instruments Folk et plus d'orchestrations (certains titres sont accompagnés de l’orchestre philharmonique de Prague ou l’orchestre du film libanais), une musique globalement plus sombre (Deathless, The Room, Darker Shade Of Black, ou encore la très calme mais presque dépressive Exit The Room ?), et surtout d'autres influences. Citons par exemple Epica, par certaines parties d'orchestre ou de clavier (l'intro de Let There Be) ou par des choeurs (Beyond (The New World), la fin de Escape, la fin de Only One). L'ensemble est pertinant ; s'écoute d'une traite, sans rupture, pour un résultat cohérent et immédiat. Mais chaque nouvelle écoute affine l'idée qu'on s'en fait, apporte des nouvelles révélations de détails subtils qui viennent s'ajouter à la balance des influences et des idées novatrices, pour finir par révéler toute la force des compositions d'Ostura.

Nous sommes le 11 avril. Est-ce trop tôt pour affirmer avoir trouvé son album de l'année ? Pour ma part c'est tout à fait envisageable, bien que seul le top annuel nous le confirmera. Mais d'ici huit mois, il est possible qu'Ostura ne soit pas (ou peu) détrôné dans le cœur des aficionados de Metal Progressif mélodique et complexe, ou tout simplement les amateurs de musique épique et émotionnelle.

17

A écouter : 1

Merci Greg_H pour la découverte via le Discord Metalorgie !

Les critiques des lecteurs

Moyenne 17
Avis 1
Steph_VDM May 20, 2018 11:28
Après avoir entendu tant de bonnes choses sur cet album, j'ai décidé de l'écouter à mon tour, et force est de constater que tous ces compliments sont largement mérités ! Chaque morceau est un régal et le tout dégage une ambiance si particulière et agréable à écouter. Bref, très bonne surprise !
17 / 20