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Biographie
Fredo Roman, personnage central de Nonstop, est un proche de la petite famille nihiliste d’Arnaud Michniak, que constitue la succession de Diabologum (deux anciens du groupe jouent sur scène dans Nonstop) et de Programme. La musique du groupe toulousain est une folie profonde, surréaliste et haineuse, récitée en spoken words sur des instrumentations hip-hop agressives et bruitistes. En 2005, il sort son premier disque Road Movie en Béquilles, satirique et surréaliste dans ses déclamations fortes et cyniques. Quatre années plus tard, le groupe sort son deuxième album, J’ai rien compris mais je suis d’accord, plus ancré encore dans la folie et l’incohérence, puissant et charnel.
Plus de dix ans pour aboutir à ce Zyklon Bio et son artwork tiré des cauchemars de Miura. 10 ans qui ont l’air d’avoir travaillé Fredo Roman. Je me souviens de la baffe J’ai Rien Compris Mais Je Suis D’Accord. Un truc amer, acerbe, tellement indigeste à première vue qu’il te happe de par ses mots et ses ambiances. Un mix Hip Hop / Spoken Words et avec Zyklon Bio, le musicien reprend pile là ou il s’était arrêté avec son côté poisseux, malaisant. On se le bouffe en pleine face, la gueule grande ouverte et les esgourdes en feu.
Deux putains de titres qui s’enchaînent, mélangent les ambiances avec ce ligne vocale toujours stable, sans grosse variation. Les atrocités succèdent à certaines douceurs, les samples se noient dans les mots de Fredo Roman. « C’est à s’ouvrir les veines avec une pelle à neige ». Nonstop revient comme si le temps était mort. « Une catapulte tire un penalty ». Les instrus te plombent le moral, sont tout aussi incohérentes que certaines phrases, mais jamais l’artiste ne dévie de sa route, peuplée de références culturelles (le film Soleil Vert, l’artiste Basquia, …). Nonstop régurgite tout ce qui a plombé le moral de certain.e.s depuis des années, glauque. « Je comble le vide par plus de vide encore ».
Deux titres pour Zyklon Bio. La baffe ne sera pas autant intense qu’avant, mais le musicien te replombe l’ambiance en 30 minutes. « Dis moi avec qui tu dors, je te dirai de qui tu rêves ». De toi Fredo. De toi.
« Le temps ne s’est pas vraiment écoulé, on a juste vieilli ».
Un point de rupture impalpable, impossible à décrire, théoriser, nous avilissant tous potentiellement nous guette. On est fou, ou alors on ne l’est pas, mais on ne peut pas vraiment le savoir, parce qu’on gobe chaque jour des tas de choses, des vérités contredites par les suivantes, et on est d’accord, et puis on est aussi d’accord avec les précédentes, puisqu’on nous les dit, on croit que ce qu’on voit, puisqu’on nous le montre, et on nous montre tout, on nous donne un avis sur tout, et on n’a pas d’avis, parce que les matches nuls arrangent tout le monde. Et puis demain, ils expliqueront pourquoi ce qu’ils ont prévu hier, ne s’est pas produit aujourd’hui. Alors on est d’accord avec tout, puisque c’est là, devant nos nuques, derrière nos yeux, dans notre tête. On se sent exister, parce que chaque jour on se retrouve dans tout, on a tout compris à tout ce qu’on nous dit, parce qu’on nous le dit. Quand on fait de notre mieux c’est encore pire. Et toutes ces données goinfrées sans qu’on se rende compte du tas qu’elles engraissent, elles se télescopent et nous aliènent, parce que ça doit arriver. De toute manière soit on perdra le corps, soit on perdra le physique, soit les deux, et ça commence maintenant, avec cette somme complexe qu’on avale en permanence qui nous rend esclaves et malades, et peut-être qu’on se met à raconter n’importe quoi en resservant toutes ces choses qui nous semblent vraies, qu’on ne se pose même plus de questions parce qu’elles nous ont usées et que ça ne marche plus, qu’on est loin de ce qu’on était sans l’avoir senti passer. On n’a même plus peur alors qu’avant on criait, tout le temps. Alors autant se laisser aller, autant déblatérer l’absurde parce que c’est ce qu’on nous impose, c’est ça l’humain moderne, c’est notre destinée. De toute manière on vous croira, puisque vous le direz. Mentez, délirez, détruisez, ce sera vrai, tout le temps. Ce sera beau, facile, vous serez dignes dans la déchéance. Vous serez fous et on vous vénèrera, et si vous ne faites rien, vous ne serez personne, on vous dira que vous perdez la tête. Soyez violent, assenez les coups, secouez vos amis, les inconnus, ce sera vrai, aussi vrai que tout ce qui nous entoure est faux. Parce que vrai ou faux ça n’a pas la moindre signification, on est trop nombreux finalement, notre libre-arbitre est aveugle. Et tout ce qu’on entend finit par se ressembler, on regarde les autres, et on se voit mais on en rit, ces types, c’est toi, même si tu les connais pas. Alors on se permet tout, la même agression que celle qu’on subit, on peut tordre, on peut exploser, personne ne le verra, sauf si quelqu’un dit qu’il l’a vu. Trompons nous nous même, avant qu’on nous le fasse. Mangeons des pommes d’argent, parlons sans cesse de tout, sauf du reste, vivons notre monomanie en nous dispersant, tuons des morts, cherchons les regards, posons des questions, parce qu'on ne sait pas où on en est. C’est pas un jugement de valeur, c’est comme ça, c’est de l’hypnose. J’ai rien compris mais je suis d’accord nous dit-il, Nonstop, et si on lui dit qu’il a tout compris, il sera pas d’accord, ce con, parce qu'il est fou. Moi non plus j'ai rien compris. Mais je suis d'accord.
A écouter : si tu comprends.
Dans le désert de la vie, dans la désillusion du savoir, les interrogations naissent et croissent, aliénant l’âme, s’entrechoquant les unes aux autres. Parfois on semble comprendre, et puis tout se dérobe plus tard, lorsqu’un lien s’établit entre plusieurs pensées ou que l’on repense aux angoisses oubliées ; alors nos certitudes s’envolent, laissant place à d’autres qui seront éphémères elles aussi, et qui sait, peut-être plus que les précédentes. On tourne en rond, on perd le fil, on pleure on rit, on espère, sombre. Et la peur de vivre l’emporte, jusqu’au prochain instant de bonheur, s’il arrive. Un brouillon brouillant destructeur, on est hantés. Alors on pleure encore et on fait face si l’on peut, illusion, le temps de n’être plus seul, et l’on retombe dans ce morne abrutissement, en espérant ne jamais atteindre la folie qui nous regarde et nous embrasse. On verra bien, peut-être, je ne sais pas. Mais ça n’a pas de fin, même pas la mort, pas de solution, ni la vengeance ni la haine, on est seuls de toute manière et on y revient toujours. Toujours. Et on ne se demande plus pourquoi, ça nous ramène au point de départ. Il n’y a rien à faire, surtout pas envier ceux qui font face, ou semblent le faire, peut-être même que dans nos moments d’illusionnistes, on fait envie nous aussi. L’envie tue à petits feux. Alors on mélange tout, et tout semble cohérent, et on pleure encore, avec fierté, et on crache notre mépris macéré tout ce temps, on le hurle et on souligne le nonsens Nonstop qui nous enfonce, le surréalisme des situations que l’on rencontre. Tu crois qu’on se sent mieux ? Jamais, on cherche tous quelque chose et si on le trouve, on cherche autre chose. Et plus on cherche, plus on s’aigrit, et plus on creuse et plus on pleure. Dehors c’est laid, dedans c’est enlaidi par le dehors. Tant qu’on pourra on tiendra, on nagera dans la spirale du vent qui ne tourne pas, on naitra chaque jour plus froid que la veille, et ça nous aidera peut-être à faire face, être un dur, un aigri, au fond jaloux des gens heureux, de ceux qui font face grâce à leur médiocrité. Alors on pleurera, on crachera des explosions de connaissances, on suivra des rêves, le surréalisme et nos connaissances nous serviront. Et même si le désert est toujours le plus fort, même s’il pleut des pierres, notre unicité est une force, notre folie modeste une unicité. Les réalités ne nous choquent plus, l’improbable ne nous atteint plus, et c’est notre force. C’est notre force. On contrôle notre monde, on s’en sert parce qu’on le connait, et on n’espère plus rien. L’espoir c’est pour les lâches. Et on se fait péter la tête, c’est bon, c’est douloureux mais c’est bon, et on maitrise autant qu’on patauge. Rien n’a de queue, rien n’a de tête, âne et coq c’est la même chose, de la violence et de la banalité, et tout ça c’est parce que la nature de l’homme est comme ça, banale, cruelle, riche, étrange, absurde. Et l’art te l’apprend, les sonorités forment un vecteur tellement spécial, et Nonstop te crache tout ça, cette nécrose textuelle agressive, cette avalanche de banalités qui se cognent les unes aux autres et t’embrouillent la tronche tellement elles nous engloutissent accolées les unes aux autres. Et quand on ressent tout ça, les angoisses reviennent, c’est l’âme qui l’entend et ressort tous ces doutes et cette haine du tout et du rien qui est là depuis toujours. On est seul, au milieu de ce Road Movie en Béquilles, on a beau entendre tout ça, on glisse un peu plus vers nos démons et nos certitudes qui nous construisent. Rien ne va, et tout va, parce qu’on est fort. Et on envie la mort autant qu’on aime la vie. Alors on pleure.
A écouter : ...
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