2013 marquait le grand retour de Nine Inch Nails avec Hesitation Marks. Trent Reznor a entre temps enregistré deux EP et un album avec sa femme, Mariqueen, sous le nom de How To Destroy Angels, pour un résultat controversé. Il a aussi composé les bandes originales de The Social Network, avec un oscar à la clé, et de Millenium. Si le précédent opus de NIN, The Slip, n'avait guère renouvelé le logiciel NIN, que pouvait-on attendre cette fois-ci? L'excellent single Came Back Haunted annonçait un virage electro pop avec un coté catchy à la With Teeth. Le reste des compositions offre une musicalité proche de Pretty Hate Machine pour le coté synthétique et des Ghosts voire des BO pour les rythmiques et la construction des morceaux. De plus les thématiques abordées, toujours intimes, et même l'artwork de la pochette, semblent nous renvoyer à The Downward Spiral. Reste qu'au premier abord, tout cela semble manquer d'originalité et d'audace. Plusieurs écoutes attentives et même volontaires seront nécessaires pour appréhender cet opus.
Dès l'entame Copy Of A Reznor apparaît d'ailleurs en proie au doute. Une crainte nouvelle se fait jour, celle d'être perdu dans la multitude à jouer un rôle plutôt qu'à s'incarner véritablement. La piste suivante Came Back Haunted le confirme, Trent est hanté par de nouveaux démons. Ainsi, si musicalement NIN enchaîne deux morceaux bien balancés et accrocheurs, Trent semble peu sûr de sa démarche créatrice cette fois, et le fond du disque le confirme piste après piste. La bien nommée et syncopée Find My Way s'avère à ce titre une supplique au créateur, Trent cherchant sa voie dans le marasme. Trent bégaye en fait ses thématiques même si on ne peut douter de sa sincérité. All Time Low évoque ainsi sur le mode groovy la sexualité comme échappatoire, exactement comme Closer 20 ans auparavant, tandis que Disappointed enfonce le clou de la dépréciation sur un beat entêtant. On est à ce stade en terrain plus que familier, ce qui fait en partie la faiblesse de ce nouvel opus. Et même si Everything surprend, elle sonne comme une étrangeté de la part de NIN. Si les paroles (I survived Everything / I have tried everything) expriment un sentiment puissant, elles sont posées sur une orchestration up-tempo qui rappelle de façon incongrue The Cure, sans convaincre.
Satellite nous montre cependant un Trent Reznor qui s'infiltre dans nos synapses (I'm part of you/ I'm Inside your head) sur un beat bien cadencé. Ce morceau est par ailleurs emblématique d'une vraie nouveauté. Trent adopte en effet une nouvelle approche de sa nature torturée qui affronte le monde extérieur au lieu de se focaliser sur elle-même dans un dialogue bipolaire. Various Methods of Escape est à ce titre tout aussi pertinente, Trent y révélant une envie de lâcher prise sur une partition vocale pas loin de The Fragile. Cependant, même si, répétons le, la sincérité de Trent est un de ses meilleurs atouts, cette seconde partie du disque est plus faible. Running et son leitmotiv obsédant est trop répétitive pour accrocher durablement. De même pour I Would for You. On y voit certes un Trent pris au piège de ses névroses qui voudrait changer pour sa compagne, mais le morceau n'est pas aussi puissant que ses paroles. Ailleurs, la schyzophrénie n'est pas oubliée, le temps du percussif In Two. Mais c'est la conclusion While I'm Still Here - Black Noise qui rehausse vraiment le niveau, se révélant riche de nuances tant par l'orchestration que par les lyrics fatigués d'un Trent qui se désinteresse de tout sauf de l'être aimé (Stay With Me / Hold Me Near).
Au final, malgré les griefs évoqués, on est tout de même agréablement embarqué par ce Hesitation Marks. Il s'agit d'un voyage intime où l'intégrité de Trent affleure, celle d'un être tourmenté dont les soubresauts intérieurs nous touchent encore. Néanmoins, musicalement le parti pris electro pop de Hesitation Marks donne un écrin trop light à une telle noirceur, là où le rock industriel de The Downward Spiral offrait l'emballage idéal aux obsessions de son géniteur. Et de ce fait, l'album se découvre sur le long terme, passé une première impression mitigée. C'est donc un bon disque, mais un peu décevant.
NB : la version collector du disque offfre trois remixes plutôt intéressants du fait d'une approche musicale plus variée. Find My Way y gagne notampment en emphase. All Time Low s'enrichit de percussions et de choeurs. While I'm Still Here devient plus étrange et glauque.
Cet album représente pour moi le summum de la sophistication et de la maîtrise, la richesse sonore est inégalable (on découvre à chaque écoute un nouvel élément), l'ambiance est globalement légère (j'ai d’habitude pourtant du mal avec les mélodies "lumineuses" avec ce style de musique) et ne diminue en rien l’intérêt que représente ce disque. Moi qui ait découvert NIN après cet album, je me surprends à attendre le prochain opus avec beaucoup d'impatience, Reznor passe direct dans mon top 3 des artistes favoris.