Nick Cave And The Bad Seeds

Post-Punk, Singer/Songwriter, Art Rock, Blues, Gothic Rock

Royaume-Uni

Skeleton Tree

2016
Type : Album (LP)

Chronique

par nonohate

"You fell from the sky..." Par ces quelques mots, Nick Cave nous transperce abruptement de la récente tragédie que sa famille et lui ont vécu. Le 14 juillet 2015, Arthur Cave, fils cadet du célèbre musicien, chute d’une falaise à Ovingdean en Angleterre et décède à l’âge de 15 ans. La mort reste toujours un événement si soudain qu'il surgit le plus souvent lorsque l’on n'y est pas préparé. Nul n'est alors capable de trouver un sens à cette soudaine incompréhension, l'unique recours restant donc d'aller de l'avant. Un an plus tard, Nick Cave sort du silence du deuil pour annoncer simultanément son nouvel album Skeleton Tree ainsi que One More Time With Feelings, film-documentaire centré sur l’enregistrement dudit album.

Au premier abord, on pourrait penser que Skeleton Tree évolue dans la même docilité que celle dans laquelle Push The Sky Away nous a laissés trois ans plus tôt. Pourtant, en écoutant attentivement ses paroles on ne peut plus explicites, on se rend compte que c'est le jour et la nuit. La conséquence la plus flagrante de ce drame reste l'impact sur le processus d’écriture de Nick car si on peut lui reconnaitre d'être un grand praticien de la composition à travers l’improvisation avec son groupe, c’est avant tout son talent lyrique qui nous frappe le plus. Mais cette version de lui n’est plus. Un bouleversement né non pas de la nécessité d’un renouvellement créatif mais plutôt de celle de réapprendre à se découvrir soi-même.
Basiquement, l'écriture est très souvent remplie d’éléments que l’on a souhaité dire à un instant T mais que la réévaluation et le temps finissent par modifier ou rejeter jusqu’à atteindre l’équilibre suffisant pour concilier ces deux variables. Chose que Nick a tout simplement souhaité bannir puisque chaque mot immortalisé sur un bout de papier l'aura été pour une raison. Le choix de retenir ou non une partie des paroles n’ayant plus lieu d’être, cela induit forcement une certaine forme Spoken Word inédite dans la vision de la musique de Nick Cave & The Bad Seeds (Anthrocene).

Plusieurs éléments laissés tels quels viennent s'ajouter à cela comme sa voix légèrement enrouée sur les crèves-coeur Girl In Amber et I Need You. À quoi bon chercher à dissimuler ou trafiquer cela ? C'est dans ce qu'il a d'imparfait que cet album est véritablement beau. À plusieurs reprises Skeleton Tree nous extraira du confort d'une écoute emplie d'un sentiment familier comme sur Distant Sky où le chant soprano d'Else Torp s'invite dans le même rituel de création que celui de Nick. Choisissant de laisser les paroles vaguer librement afin de saisir le moment là où il est le plus vrai : en vol.
De son délicat toucher du piano à sa voix tremblante, tous ces éléments sont ainsi captés avec tant de minutie qu'ils nous arrachent des larmes. Bien sûr, il a pu compter sur le soutien de ses collaborateurs Warren Ellis et Nick Launay pour élaborer une production à même de porter les émotions dont l'album regorge aux oreilles de l'auditeur.

Quel intérêt il y a donc concrètement à le découvrir à travers One More Time With Feelings ? Par cette volonté de montrer aux spectateurs les images hors champ en suivant Nick Cave & The Bad Seeds en studio lors de la partie finale de l’enregistrement, One More Time With Feelings nous plonge dans l'envers du décor pour apprécier au mieux la musique qui est placée au cœur du film. Skeleton Tree y est interprété en intégralité mais pour autant ces versions visibles à l'écran se trouvent ne pas être celles choisies pour figurer sur l’album, bien que les différences en question soient pour la plupart minimes.
Pourquoi un tel choix ? Pour ceux qui ont eu le privilège d'assister à cette séance unique la veille de sa sortie, ces différences s'inscrivent dans la continuité artistique cultivée par Nick Cave & The Bad Seeds tout au long du film et viennent ainsi conforter l'idée du concept élaboré autour de l'album.

Difficile d'ailleurs en parcourant Skeleton Tree de ne pas penser à Blackstar, l'ultime œuvre de David Bowie. Ces artistes ont su allier la détresse induite par la perte d'un être cher ou par sa propre et inévitable fin à leur musique pour capter ce moment unique et étrange dans la vie en le transformant en une œuvre que la mort ne pourra effacer. On peut d'ailleurs percevoir une transposition du parcours évolutif du deuil dans la disposition des titres, du douloureux Jesus Alone qui ouvre l'album jusqu'à la répétition de "And it's alright now" à la toute fin du libérateur et éponyme Skeleton Tree. En souhaitant à Nick Cave que sa création aura eu l'effet escompté autant qu'elle l'a eu sur nous.


"Let us go now, my darling companion. Set out for the distant skies.
See the sun. See it rising. See it rising. Rising in your eyes."

16

A écouter : 1

Les critiques des lecteurs

Moyenne 13.5
Avis 1