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Biographie
C’est à Melbourne en 2003 que se forme Ne Obliviscaris autour du concept novateur qu’un violon peut tout à fait trouver sa place dans une formation Death Progressive. A l’initiative de Marc « Xenoyr » Campbell et le batteur Corey Baker et rejoints par Tim Charles au chant clair et violon, le line-up se stabilise en 2009. Une première Demo intitulée The Aurora Veil lance le combo en 2007, mais c’est seulement en 2012 que paraît Portal Of I, premier album studio qui les emmènera jusqu’au Japon et leur garantira une tête d’affiche au Progfest d’Australie. C’est avec Citadel, paru en 2014 chez Season Of Mist que Ne Obliviscaris perce vraiment : grâce au financement participatif, ils s’autorisent une tournée mondiale en compagnie de Enslaved qui dure jusqu’en novembre 2016.
C'est un intervalle de 0,7 Tool (soit 5 ans et demi, c'est beaucoup) qui sépare Urn d'Exul. L'enchainement du doute (retards dus à la crise sanitaire, changements de line-up, enregistrement et production qui trainent) puis de la hype (date de sortie enfin annoncée, singles lentement dévoilés) a construit une attente forte. Ce quatrième album est-il à la hauteur des espoirs qu'on a en lui ?
Si le départ de Dan Presland a pu émouvoir les fans, le batteur a néanmoins enregistré ses parties en guise de cadeau d'adieu, avant de quitter le navire. Niveau percussion, on savait donc à quoi s'en tenir. C'est la basse qui inquiète : Brendan Brown avait un jeu mélodique et vraiment mis en avant, et il avait fallu un cador (Robin Zielhorst, un ex Cynic, ex Exivious...) pour le remplacer sur Urn. Membre de session uniquement, il laisse la place à un nouveau bassiste en titre, l'italien Martino Garattoni (Ancient Bards). Et la basse sur Exul pourrait bien être THE instrument de l'album, toujours aussi forte et claire dans le mix et toujours aussi mélodique qu'avant (couplets de Equus, de Misericode I, la partie en harmoniques ou le solo dans Graal...). Le changement de personnel n'affecte pas l'utilisation assez unique de cet instrument.
En revanche, ce qui est rassurant pour la basse peut finalement être la faiblesse d'Exul quand on le considère de façon plus large : c'est comme avant. On notera évidemment Misericorde II, dont la première moitié aux vibes dark-jazz est vraiment aussi inédite qu'appréciable, d'autant que son évolution vers une fin de morceau bien plus rentre-dedans est complètement réussie, pour un résultat poignant. Mais sur le reste de la galette, NeO joue du NeO, sans vraie prise de risque. Exul ferait un premier album exceptionnel, un second disque très honorable, mais pour une quatrième sortie, qui plus est avec autant d'attente, l'ensemble reste quand même assez conventionnel.
Evidemment, c'est du chipotage. Même en admettant que ce n'est pas l'originalité qui les étouffe, Ne Obliviscaris propose des morceaux qui marchent, avec des moments puissants, des riffs créatifs et des climax forts, des accalmies douces-amères ou pleine de fragilité. Si le déjà-vu et le familier peuvent être vus comme des potentiels points d'ombre, rappelons surtout que le déjà-vu et le familier, bah ça défonçait avant, et ça défonce toujours. Seul Anhedonia, qui conclut les 52 minutes d'Exul, semble dispensable : ce court moment de piano et de violon dissonant est habituel chez les Australiens, mais plutôt en guise d'interlude. Utilisé ici pour clôturer l'album, on en gardera une impression de tension qui ne se résout pas ; et quitte à écouter du NeO, autant relancer l'écoute au début en repartant d'Equus.
Alors, que retenir de cet effort ? Le constat est positif mais "semi-blasé" : c'est bien, comme d'hab'. Exul est pétri de qualités, mais de qualités qu'on reconnait déjà à Ne Obliviscaris, de qualités auxquelles on s'attend. L'album est excellent, mais cela suffit-il ? Pour le moment, on accorde le bénéfice du doute, mais le prochain devra apporter quelque chose de plus.
A écouter : Misericorde I & II
J’ai une théorie un peu folle à propos de Ne Obliviscaris. Le seul autre groupe qui me vient à l’esprit quand il s’agit de proposer un Death Prog mélodique d’aussi haute volée, avec des constructions si recherchées, et aussi mature dès le début de leur carrière, c’est Opeth. Or, le moment où les Australiens ont commencé à faire parler d’eux correspond à la période où Opeth a cessé de composer ce style de musique. Eh bien selon moi et ma théorie digne des illuminatis ou des reptiliens, Ne Obliviscaris est la réincarnation de l’âme de la première mouture des prodiges suédois. Oui je sais : ça n’a aucun putain de sens. Et pourtant, la comparaison tient à plus d’un plan, et Urn n’est rien d’autre qu’une nouvelle preuve. En effet, Ne Obliviscaris accouche d’un troisième album sans faute, tout autant que les deux premiers d’ailleurs ; à l’instar de ce qu’était My Arms, Your Hearse il y a vingt ans. Mais même si l’analogie se tient (selon moi), nous ne sommes pas là pour parler d’Opeth, aussi je vais me forcer à arrêter ici cette métaphore. Que voulez-vous, il fallait bien une intro… Urn est donc tout bonnement colossal. Tantôt obscur et abrasif, tantôt plein de grâce ; parfois intimiste, parfois grandiloquent ; l’ensemble est particulièrement complet et complexe. La formation réussit à renouveler l’intérêt qu’on se doit de leur porter, en proposant des titres dont la créativité et l’interprétation sont exemplaires. La seule « régression », c’est que la surprise n’est plus vraiment la même, on perd l’effet « grosse claque » de la découverte de ce Death Prog violonisé. L’approche très Prog de Ne Obliviscaris est sur Urn, comme sur les deux autres sorties, un vecteur d’émotions puissantes. On pourra noter que les interludes comme Libera – Part II (l’album est toujours composé de quelques gros pavés découpé en plusieurs parties) ne se servent plus du violon pour y créer un malaise dissonant, mais comme réel apport mélodique. L’instrument est aussi utilisé avec plus d’insistance qu’auparavant dans les pistes plus conventionnellement « rentre-dedans », allant presque jusqu’à guider, encadrer certains titres, gagnant en présence et devenant l’équivalent d’une troisième guitare ou d’un clavier (Intra Venus, Libera – Part I). Qu’il s’agisse des interludes ou de passages au sein de titres plus agressifs, les accalmies sont franchement poignantes (toute l’introduction de Eyrie) et permettent une meilleure assimilation de l’ensemble compact de l’œuvre. L’immersion est aussi facilité par les structures des morceaux, qui bien que toujours très longues, sont un poil moins complexes. On n'aura par exemple aucun mal à se repérer dans Libera – Part I grâce à la tuerie qui lui sert de riff principal, qu’il soit conjugué à des chœurs épiques ou pas ; ou dans le pavé Eyrie grâce à sa construction logique. Au chant, Xenoyr est toujours irréprochable dans ses growls. Tim Charles, en plus d’être un peu plus impliqué au violon, l’est aussi avec ses voix claires. Si son chant est indispensable des passages présentant moins de tension, il se pose parfois un peu étrangement sur les parties les plus violentes, comme dans le premier couplet de Libera – Part I par exemple. Mais après quatre ou cinq écoutes (qui sont de toutes façons nécessaires pour se forger un début d’opinion sur un disque aussi vaste, ne vous découragez pas !), le chant clair fini par s’imposer de lui-même, le plus naturellement du monde.
L’autre technicien à mentionner est le bassiste qui officie sur Urn : Robin Zielhorst, qui n’est autre qu’un ancien membre live de Cynic, pour vous donner une idée du niveau de jeu du monsieur. Le remerciement de Brendan "Cygnus" Brown avait provoqué bien des inquiétudes, justifiées au vu de l’apport mélodique indéniable de la basse dans les deux premiers opus des Australiens. L’intérimaire remplit ici son rôle à merveille, assurant à la fois des rythmiques implacables et des leads créatifs, à l’exacte manière de son prédécesseur. Urn est donc, comme on le présentait, un album aussi grandiose que l’étaient Portal Of I et Citadel. La maestria et la maturité de leurs auteurs ne pouvaient pas vraiment laisser présager d'autre chose, et la promesse est ici tenue. Pour l’instant, la discographie de Ne Obliviscaris est donc un sans faute. Comme celle d’Opeth. Bon d’accord, j’arrête…
A écouter : Libera Part. I , Eyrie
A force de vouloir imposer une empreinte unique et durable dans le paysage musical actuel, nombre de groupes ont pu faire évoluer un genre, en apporter une lecture différente, proposer des idées nouvelles. C’est le cas de Ne Obliviscaris, avec un Death Progressif de qualité qui a su trouver sa place parmi le cercle fermé des formations influentes. La question se pose néanmoins avec Citadel : cette volonté de toujours vouloir repousser les limites sans pour autant sortir du cadre imposé par l’étiquette est-elle encore viable aujourd’hui ? Les australiens pourront ils rééditer l’incroyable surprise qu’avait été Portal Of I ?
Ne Obliviscaris propose une fois encore avec Citadel du Death Progressif de très bonne facture. Sans même parler de l’aspect technique à la limite de l'indécence de chacun des instrumentistes, tous les codes du style sont respectés : chaque ligne mélodique vient soutenir l’autre pour créer une toile globale grandiose et impressionnante. Painters Of The Tempest, Pt. 2 - Triptych Lux illustre cet univers qui s’ouvre pendant plus de 16 minutes dans nos oreilles. Véritable monstre d’écriture avec un kaléidoscope de variations toutes mieux gérées les unes que les autres, il s’agit d’une œuvre créative à l’image du reste de l’album.
L’équilibre est lui aussi parfaitement géré. Citadel reste très accessible malgré la richesse et la durée des morceaux qui aurait pu rebuter, surtout dans un genre aussi complexe que le Death Progressif. Pourtant, prendre le temps de développer chaque ambiance plutôt que d'enchaîner les plans à toute vitesse permet de profiter sans se perdre pour autant. Les pistes se succèdent et dessinent les contours d’une œuvre fois pleine de finesse et d’intelligence. Painters Of The Tempest, Pt. 3 - Reveries From the Stained Glass Womb permet par exemple de redescendre après l’énorme partie précédente à l’aide d’une guitare sèche et du violon qui se répondent mutuellement sur un ton calme et enjoué avant de s’attaquer à Pyrrhic et sa montée en puissance démentielle.
L’utilisation du violon donne une couleur folk inédite pour un groupe de Death Progressif. Permettant de sculpter le son avec talent, il s’agit d’une idée originale mais pas envahissante venant capter l’attention sans pour autant déranger dans l’écoute globale. Se posant comme élément différenciant, le son de Ne Obliviscaris dépend beaucoup des mélodies qui se dégagent de ce violon qui semble presque vivant. Utilisé avec brio, il est mis en avant par la production, prenant une dimension considérable lorsque l’on s’y attarde. Plus lumineux que ce à quoi on aurait pu s’attendre, Citadel montre une grande fraîcheur poussée par un chant clair qui évoque Leprous.
Citadel s’offre le luxe d’ouvrir de nouvelles portes, explore de nouvelles sonorités grâce à ce violon si bien utilisé. Soutenu par une finesse d’écriture et un art du dosage très avancé, il en résulte un album puissant et accessible dans la lignée de Portal Of I. Le défi à présent sera d’arriver à se renouveler et d’aller encore plus loin dans son exploration sonore. Ne Obliviscaris ne doit pas enfermer son talent et cloisonner son identité au “groupe de Death Progressif avec un violon”. Innover encore plus sera le défi de demain ; en attendant à moins d’y être allergique, il faut impérativement écouter Citadel.
A écouter : De nombreuses fois
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