Biographie

Naked City

En 1989, le saxophoniste/compositeur de génie John Zorn crée Naked City, son premier véritable groupe, en s’entourant des meilleurs jazzmen de l’époque : Joey Baron à la batterie, Bill Frisell à la guitare, Fred Frith à la basse, Wayne Horvitz aux claviers et plus tard le déjanté Yamatsuka Eye (Boredoms) au chant.
Lorsque l’on évoque la violence musicale, on pense généralement au black metal, au brutal death ou au grind. Mais plus rarement au jazz… Et pourtant Naked City est bel et bien un groupe de jazz et accessoirement l’interprète d’une des musique les plus agressives de son temps (et encore du notre). C’est ainsi que la bande à Zorn figurera sur des compilations de Earache Records en compagnie de groupes comme Napalm Death. Le groupe est la figure de proue de la scène underground new-yorkaise lorsqu’il sort en 1989 son premier album éponyme composé de reprises de musiques de films (ce qui inspira Fantomas plus de 10 ans plus tard) et de compositions originales naviguant entre surf-rock, jazz et hardcore. L’année suivante sort Torture Garden, album atteignant des sommets de violence qui compile les titres «jazzcore» de l’éponyme et de Grand Guignol. 1992 est une année prolifique pour le groupe car il sort pas moins de 3 albums : Grand Guignol, Heretic (BO d'un film SM, imaginaire mais un film reprendra ce CD comme BO) et Leng T’che (ce dernier est un unique morceau de 31 mn). En 1993, Naked City sort deux nouveaux albums : Radio, dans la veine de l’album éponyme, et le déroutant Absinthe, album d’ambient qui clos étrangement la courte mais productive carrière d’un groupe majeur qui influença nombre de musicien de la scène expérimentale (Zu, Ground Zero, Fantomas…).

Chronique

16 / 20
1 commentaire (15/20).

Torture Garden ( 1990 )

Qui a dit que le jazz moderne c'était chiant et réservé à un public de connaisseurs, un cercle fermé d'élites intellectuelles se regroupant dans des caves enfumées à siroter un bon bourbon avec un cigare au coin des lèvres ? C'est faux, archi faux, et cela depuis déjà très longtemps. De nombreux groupes se sont servis de cette musique inspirante afin de créer des univers musicaux extrêmement stimulants, la liste est longue, on pense à Soft Machine, Emerson Lake and Palmer, Herbie Hancock, Cynic, Atheist et plus récemment à Shining, qui ont tous su exploiter ce style si particulier en l'incorporant de façon plus ou moins explicite à leurs compositions. Le jazz fût une révolution importante dans l'histoire de la musique moderne, c'est donc sans aucun scrupule que bon nombre de ces artistes lui ont rendu hommage en proposant une alternative à ses racines afro américaine.

C'est le cas de Naked City, dont le frontman John Zorn, saxophoniste talentueux, s’évertue depuis la fin des années 80 à nous proposer ce qu'il sait faire de mieux : du jazz complètement dingue. Que vous soyez adeptes extrémistes de jazz traditionnel, amateur de choses plus modernes (Herbie Hancock et autres Fela Kuti) ou complètement hermétique à ce genre presque centenaire, Naked City et leur Torture Garden ne vous laisseront pas indifférents. Soit vous détesterez d'emblée ce bordel musical, soit vous adhérerez à 100% à ce groupe qui en a inspiré tant d'autres (Mr Bungle et Fantomas entre autres), et y retrouverez des sensations familières : format court (moyenne de 30 secondes pour un titre, suivant le très marquant Scum de Naplam Death à l'époque), mélanges improbables de tout ce qui se fait en matière de riffs, bruits et sauvageries vocales, extraits de films et autres bizarreries ambiantes.

Pour les plus aventureux d'entre vous qui auront réussi à tenir plus de 5 minutes à cette avalanche sonore, sachez tout de même que cet album aux airs grand guignolesques fut à l'époque un pari assez osé, ces visionnaires de la musique n'ont pas hésité une seconde à faire passer le jazz, dominante évidente du projet, comme sorte de ligne directrice d'un capharnaüm sonore sans concessions ni facilités. Derrière ce mur de son hallucinant, on entrevoit écoutes après écoutes le génie qu'a eu le groupe à l'époque, à savoir nous proposer un jazz complexe et torturé recouvert d'une couche épaisse de violence en tous genres (métal, punk, rock, hard, ...). C'est diablement chiadé, à tous les points de vue, les passages jazzy sont extrêmement bien travaillés, et l'accompagnement métal fait mouche à peu près à tous les coups, on se surprend même à trouver assez rapidement une cohérence globale à toute cette énergie dépensée. Le groupe nous emmène à chaque fois dans des escapades musicales improbables, oscillant constamment entre brio et folie destructrice. Imaginez des musiciens extrêmement talentueux, pouvant jouer n'importe quoi, s'évertuant pendant 42 chansons d'une trentaine de secondes à écrire des compositions d'une normalité affligeante, puis d'en extraire chaque note, de la passer au mixeur sonore, de la balancer contre un mur, de la piétiner, juste au cas où, et de verser le tout directement dans nos oreilles vierges et saines dans le désordre, en suivant les indications d'un mec sous acide. Ces types là jouent aux légos avec leurs compositions et c'est diablement plaisant.

L'album possède au final une personnalité incroyable et chaque titre vous fera aimer le chaos, vous laissera sur le cul sur un riff ou sur un passage jazzy, mais vous n'aurez de toutes façons pas le temps d'essayer de comprendre ce qui vient de se passer, le prochain morceau vient déjà de commencer. Jouissif à souhait, possédant des qualités stylistiques vraiment indéniables et sacrément couillu, Torture Garden est vraiment l'album qu'il vous faut si bien sûr vous pensez que la bande son d'une émeute couplée à une impro de jazz réalisée à moitié par des grindeux sales peut dissimuler une pépite en matière d'originalité. On dit parfois que le génie se trouve souvent là où l'on s'y attend le moins, et bien concernant Naked City c'est on ne peut plus vrai.

A écouter : Sous acide, ou pendant une orgie...