En Charente il n'y a pas forcément que des groupes de rednecks qui ont salement la rage, il y a aussi Mr Protector. Leur nom évocateur, ainsi que la très jolie pochette finement dessinée qui lui fait écho, les situent dans une catégorie toute autre, qu'on se gardera bien de précisément définir. Pour cause, le trio a simplement décidé de nous balader d'un bout à l'autre de la carte. Ici, Pétrole n'est pas une tâche visqueuse et uniformément noirâtre mais le carburant pour bondir du Dischord Sound aux terrains labourés autant par Bastro que par le spleen de Codeine.
Les disques de Rodan et June Of 44 font sans aucun doute partie de la longue liste de must have des membres de Mr Protector. Le post-rock d'acrobates, du Kentucky à Chicago, ils sont parvenus à parfaitement l'assimiler, jusqu'à le faire adroitement déboucher sur des incisions noise/hardcore à la nervosité fulgurante ou des mélodies emo qui connaissent la finesse tout en ignorant la niaiserie. Tout au long de Pétrole, que ce soit lors des approches explosives ou des situations clairement narratives, comme sur "Jacques", très beau et long morceau à mi parcours, le trio conserve l'équilibre des éléments, même lors de l'apparition aussi touchante qu'inattendue d'une ligne de piano ou de contrebasse.
Son côté versatile mais assuré, le trio l'insuffle également au chant, irréprochable. En grande majorité prononcé - ou hurlé - en français, il n'hésite pas à utiliser ponctuellement l'anglais, mais aussi un allemand superbement intégré, qui me fait dire que ce groupe n'a définitivement peur de rien. Se mettre en danger, ne pas rester statique pour aller de l'avant sont des actions imprimées dans les gènes de Mr Protector. C'est cette envie passionnelle, immédiatement palpable au regard de la conviction avec laquelle chaque note est jouée (il faut entendre ces secousses de batterie implacables), qui confère au groupe cette insolente réussite partout où il décide de mettre les pieds. Plutôt que de s'attarder sur les quelques hésitations et maladresses (le riff de "Drôlesse", si bon soit il, jouxte définitivement trop Sonic Youth) inhérentes à un chemin semé d'embûches, on se laisse ainsi volontiers happer par les errances grisantes de Mr Protector.
A écouter : Pétrole - Jacques - Matthias et Guenièvre