Mort Metal mortel, morts vivants, zombies, groupes morts ou mourants, Suède et vieille école. Morbus Chron, tout à ses affaires morbides, se débrouillait jusqu'à présent comme un petit chef et aurait pu continuer comme ça à faire déferler son Death Metal sur nos contrés depuis le nord de l'Europe jusqu'à la fin des temps sans que personne ne s'en plaigne vraiment. Creepy Creeping Creeps ou encore Sleeping in the Rift étaient indéniablement de bonnes sorties. Des disques solides, classiques et efficaces comme on pouvait en attendre du quatuor de Stockholm après leurs débuts fracassants même si l'on pouvait encore y sentir poindre une marge de manœuvre intéressante. Puis vint Sweven.
Sortie de route plus inattendue car subite que véritablement improbable, la famille Death metal s'étant rapidement illustrée par ses envies d'ailleurs (Pan.Thy.Monium, Cynic ou tout simplement Death), ce second album qui aurait du être celui de la confirmation fait littéralement voler en éclats l'étiquette "Old School Death Metal" collée au groupe depuis ses origines. Morbus Chron s'extirpe - s'envole même - du peloton pour aller caracoler sur les cimes. Bienheureux le petit malin qui aura su anticiper la fulgurance de cette attaque suicidaire et, plus encore, réussi à suivre.
Car bien au delà du revirement ouvertement Progressif au sens le plus "Prog" du terme effectué et la surprise qui en découle lors de a première écoute, Sweven est un disque complexe qui s'il peut charmer instantanément demandera du temps pour se révéler et bien plus encore pour se laisser pleinement apprivoiser. Ne parlons même pas alors du sentiment de lassitude qui, malgré des passages répétés, voire répétitifs sur la platine semble toujours autant tenir du concept abstrait. Impossible d'arriver en terrain conquis ici, Morbus Chron laissant bien trop de choses derrière lui. Production, riffing tronçonneuse, écrasements Doom, vieux relents Punk putride, le quatuor recycle absolument tout et se reconstruit autour de ses élans les plus fous et épiques, de l'énorme talent d'Edvin Aftonfalk (guitare lead et accessoirement demi frère d'un certain Nicke Andersson aperçu chez Entombed, Death Breath, Hellacopters...) et d'un sens de la compo en progression constante et qui n'est (déjà) plus à démontrer. Ce dernier élément étant d'ailleurs le principal argument d'un disque dense (53 minutes) qui n'offre que peu de points d'accroche.
Morbus Chron signe ici ses tous meilleurs morceaux à ce jour, mettant inventivité et sens de la concision au service d'une réinterprétation authentique de son propre univers à travers le spectre du Rock de Zappa, Focus et King Crimson, mais aussi d'Opeth ("Ripening Life") et Voïvod, bien aidé par une prod claire et caverneuse toute en tension du plus bel effet qui préserve autant Sweven de tout élan pompeux qu'elle lui offre de superbes trips lugubres on ne peut plus hallucinés ("The perennial link", "Toward a Dark Sky" et son final Black cosmique). Pas un morceau au dessus des 7'50 mais Sweven se révèle être un de ces labyrinthes délicieux où rien n'est plus aisé et agréable que d'aller se perdre. En résulte un disque complètement déphasé car profondément ancré en terre suédoise, indéniablement et viscéralement Death Metal mais franchement étrange, rythmiquement intenable ("Aurora in the offing"), comme monté à l'envers et joué avec la tête perdue quelque part dans une nébuleuse (cette voix venue d'ailleurs) par un groupe qui tape difficilement les 24 ans de moyenne d'âge. Morbus Chron aura tout risqué mais un seul constat s'impose pourtant: Sweven est un disque incroyablement mature, maîtrisé, virtuose sans être arrogant et, grands-dieux, absolument captivant.
Ce second album étonnant rejoint le club de ces grands disques obscurs qui s'ils ne révolutionnent pas la grande histoire de la musique, voient leurs auteurs se réaliser, voire s'inventer enfin pleinement et s'imposent immédiatement par leur singularité et leur supplément d'âme comme des pierres angulaires dans leur genre. A l'instar d'un Dances From Left, d'un Dawn Of Dreams, d'un Nesphite, d'un Slumber of Sullen Eyes ou encore de Blod-Draum ou de Serenadium en leur temps, malgré une offre musicale et des facilités d'accès sans commune mesure avec celles de ses ainés, le Sweven de Morbus Chron marquera de son empreinte l'année 2014. Et si tel n'est pas le cas, se construira patiemment un succès d'estime bien mérité à l'instar de ces héros d'alors.