Après l'engouement suscité par Whetting Occam's Razor, petite bombe posée à l'insu de tous par le commando mené par Alex CF, Herbivore était sûrement l'un des albums de hardcore les plus attendus de l'année. Néanmoins, celui-ci s'avère extrêmement différent de son prédécesseur et, une fois de plus, Momentum nous surprend et nous fait réagir.

A la première écoute, Herbivore paraît moins sophistiqué que Whetting Occam's Razor, beaucoup plus roots, notamment au niveau du son, et puis, surtout, le groupe a évolué vers un punk-hardcore très rapide, abrasif, frontal et agressif. Exit le penchant épique et poétique, place à la rudesse, à la réalité sans fioritures, place à la tension permanente, à l'urgence exacerbée. Mais Momentum, pétri de talent, parvient à dispenser une musique ultra classe, jamais linéaire, dense, s'appuyant sur des riffs cinglants et incisifs, auréolés de mélodies éclatantes de finesse. Une multitude de détails donne à cet album une teinte particulière comme la façon dont Alex assène son texte avec une conviction poignante sur "Speciesism", la petite mélodie récurrente de "Realities Of Dairy Industry" ou encore ce passage à la guitare absolument saisissant sur "Conscientous Objector", titre final chanté par Cory Vonbolhen de Protestant.

Mais il faut bien l'avouer, dans un premier temps, la musique passe au second plan tant le message délivré dans cette réalisation est prégnant, dédié en intégralité au véganisme, à l'antispécisme, à une certaine éthique de la vie. Herbivore est sans doute l'album le plus revendicatif jamais composé sur le sujet, et la musique n'est plus qu'un support destiné à promouvoir des idées. Momentum c'est avant tout un punk-hardcore fervent, militant, défendant des convictions profondes, empli de passion, gorgé de rage et de détermination. Incendiaire, la flamme des premiers groupes straight edge brûle en lui. Et quoi que l'on puisse penser, quelles que soient nos convictions personnelles, les paroles d'Herbivore, intelligentes, percutantes, parfois crues, ne laissent pas indifférent. Elles interpellent chacun de nous sur nos choix, la manière dont nous appréhendons le monde et notre environnement. Il y a peut-être un peu de prosélytisme dans tout cela mais il s'agit avant tout d'informer, de faire savoir, au travers de chansons mais également à l'écoute du speech de Philip Wollen, "Animals should be off the menu", inséré à la fin de l'album après l'étonnante et détonante reprise de "Meat Is Murder" des Smiths.  Il faut également reconnaître la force et la puissance qui émane d'Herbivore car il parvient à remuer notre esprit, à insinuer le doute, à nous remettre en question. Et cette réflexion nous permet d'avancer, encore une fois quelle que soit notre vision des choses, et de poursuivre notre cheminement intellectuel en intégrant certaines données comme l'ont fait, en leur temps, les membres du groupe grâce à Propagandhi auquel la cover "Punk Rock Is Saving Lives" rend hommage.

Un album brillant et remarquable dont le final est conçu comme une aspiration, une promesse, et cette sensation de porter un espoir possède quelque chose d'infiniment beau. Et c'est certainement là que réside toute la poésie d'Herbivore, dans ce combat, cette flamme, d'une sincérité touchante, provenant du fond du cœur. Et même si Momentum, à l'issu de cette réalisation, a décidé de mettre un terme à l'aventure, il aura, en deux albums, marqué chacun de nous qui l'avons écouté.

"We will be the voice of those who cannot speak, be the conscious though ringing in your ear"

Momentum, c'est avant tout une démarche conceptuelle et pleinement politique, totalement assumée et revendiquée. Un groupe que certains taxeront d'intellectualisme mais qui brandit seulement la réflexion et le sens critique comme un porte-drapeau flamboyant.
Le nom du groupe lui-même embrase cette démarche active et volontaire puisqu'il renvoie aux décisions à prendre, aux projets que nous nous efforçons de concrétiser jour après jour et qui nous emplissent d’énergie vitale. Quant au titre de l'album, il fait référence à Guillaume d'Ockam, moine franciscain du XIVe siècle qui finira excommunié pour ses idées progressistes (remember "Le nom de la rose") car sa théorie du rasoir pose, dès la fin du Moyen-Age, les principes du raisonnement rationnel et ainsi les prémices de la science moderne. Pour Momentum, le rasoir d'Ockam est aujourd'hui plus que jamais nécessaire pour couper court aux théories égoïstes et ineptes qui ne servent qu'à masquer la réalité du monde.

Pour déployer son message, Momentum s'appuie sur un hardcore puissant et profond qui prend aux tripes dès les premières notes, un hardcore sombre et écorché aux accents de Ruiner, Modern Life Is War, Have Heart ou Defeater, et où s'amalgame comme par enchantement le néo crust de Fall Of Efrafa (période Owsla), apportant une dimension épique et définitivement poétique à l'ensemble. Ainsi, fusionnent avec éclat, des riffs solides et denses nimbés de mélodies aériennes et mélancoliques, des rythmes rapides pour s'exalter, des mid-tempo pour pressentir la profondeur du monde, des spoken-words pour appréhender l'importance des choses et des plages postcore pour rêver. La rage et la détermination règnent à l'unisson, la richesse et la virtuosité se répandent à profusion.
Whetting Occam's Razor suscite une tension permanente, c'est un cri déchiré en faveur de la raison, de l'intelligence, de la logique, de l'altruisme et du progrès contre la religion, la superstition, l'obscurantisme et l'égoïsme. Momentum véhicule des idéaux et des convictions fortes sur des sujets qui lui tiennent à cœur, qui lui tiennent à l'âme, il cherche à donner du sens et s'efforce d'amener une réflexion sur la place de l'homme dans l'univers. Les lyrics, superbement écrits, chantés avec verve par Alex, sont autant de poèmes emprunts de sagesse philosophique et s'appuient sur des penseurs et des scientifiques tels Carl Sagan ou F. Nietzsche.
Momentum délivre un album intelligent et brillant où l'importance des textes, tout autant que la musique, est primordiale et transporte ainsi le hardcore dans le domaine de l'intellect. En cette période où le hardcore semble s’essouffler, ce groupe apporte un nouvel élan, une nouvelle respiration à cette scène. Animé de la même flamme qui galvanisait les premiers groupes straight edge, il défend ses idées avec fougue et âpreté, authenticité et sincérité, détermination et engagement.

Si de prime abord Whetting Occam's Razor paraît un peu long, on finit par le réécouter avec de plus en plus de plaisir car il s'adresse autant à la raison qu'à l'émotion. Auréolé d'un talent impertinent et d'une aisance déconcertante il n'en reste pas moins que persiste le vague sentiment que Momentum n'a pas donné la pleine mesure de son art, comme si ce disque n'était qu'une ébauche réalisée avec nonchalance par des musiciens prodigieux, car il possède encore, parfois, des airs de déjà entendu. Cependant, quelque chose de grand et de beau palpite indubitablement dans les entrailles de ce groupe déjà hors du commun qu'il faudra suivre de très, très près.