Mizmor
Black/Doom Metal

Cairn
Chronique
En 2016, avec Yodh, ALN (l’homme derrière Mizmor) nous gratifiait d’un génial mais très difficile d’accès (peut-être est-ce là en partie ce qui le rendit génial) monolithe de souffrance. Depuis la pochette jusqu’aux cris stridents, chacune des minutes de l’album semblait avoir été façonnée pour incarner l’angoisse dans ses crises les plus profondes, celles desquelles il semble impossible de sortir.
Encore une fois avec Mizmor, tout semble démarrer avec l’Artwork, confié au polonais Mariusz Lewandowski. Faisant preuve du sens de l’épique qui, ces derniers temps, a fait de lui l’un des artistes les plus prisés par les groupes de la scène métal (il a réalisé des pochettes pour Bell Witch, False, Abigail Williams et bien d’autres encore) « Time Immemorial » dépeint un amas de pierres, un minuscule être humain, seul, au bord de ce qui semble être une falaise et faisant face à un figure humaine encapuchonnée, en feu, et portant une pyramide à l’intérieure de laquelle on distingue des éclairs. Tout Cairn y est ainsi résumé. Cet empilement de pierres, ce « cairn », bien connu des randonneurs, ne sert pas ici à simplement marquer son passage. Il est en effet investi d’une symbolique bien plus grande, celle, aux yeux d’ALN de la mort de Dieu et du suicide comme échappatoire à la prise de conscience de l’absurdité de la vie. Les plus littéraires d’entre vous auront là reconnu le thème du Mythe de Sisyphe d’Albert Camus, inspiration majeure d’ALN pour l’écriture cathartique de ce second LP. Ce qui est intéressant ici c’est qu’ALN ne verse pas dans le classique blasphème. Élevé dans une famille évangélique pratiquante, lui-même séminariste pendant quelques années en Allemagne, ALN a finalement perdu la foi ce qui, au vu de son parcours personnel a logiquement été déstabilisant. Cairn to God donne ainsi un aperçu de son état d’esprit : « I won the knowledge […] That God is counterfeit and false ». Cairn est ainsi plus l’incarnation d’un deuil que d’un rejet.
L’écoute de Cairn ressemble à de nombreux égards à la déambulation que l’on pourrait effectuer dans une ville dans laquelle on n’est pas allé depuis de nombreuses années : l’atmosphère générale nous semble familière et pourtant une multitude de détails fait que, définitivement, le ressenti n’est plus le même. La différence étant qu’avec Mizmor, il est plus question d’une étendue désertique que d’une ville tant ALN a cette capacité à nous projeter dans un environnement d’une aridité extrême dans lequel on subit les riffs et hurlements comme on subirait le déchaînement des éléments pendant un orage sec : sans même avoir l’espérance de bénéficier de précipitations providentielles. Par rapport aux productions précédentes de Mizmor est qu’ici on a ici l’impression, à certains moments, d’apercevoir l’oasis. Cette sensation résulte d’une plus grande variété d’utilisation des passages les plus lents, les plus Doom. Là où sur Yodh ils étaient associés à une lourdeur écrasante, suffocante, ils sont ici parfois investis par des sonorités plus douces, guitare sèche ou riffs plus clairs. Cairn to Suicide symbolise parfaitement : l’apocalypse pendant 4 minutes puis une dépression brutale qui mène à un passage à la guitare sèche qui, dans un mouvement parabolique, prend de l’ampleur et devient quasiment aérien. Quasiment, parce que Cairn n’est absolument pas à Mizmor ce qu’est Starmourner à Ghost Bath. La souffrance reste omniprésente. La plaie ouverte laisse simplement parfois la place à un profond sentiment de deuil plus apaisé.
Parler de maturité ne serait pas uniquement un lieu commun facile mais serait également déshonorant au vu de la qualité des productions précédentes d’ALN. La progression en termes de qualité de production et de richesse de construction, de structuration des morceaux est cependant flagrante. Si cette chronique semble dépeindre un album plus accessible que son prédécesseur, de nombreuses écoutes restent nécessaires pour pouvoir digérer sa densité et enfin être en mesure de l’apprécier pleinement. Encore une fois, Cairn confirme que bien souvent les grands albums de Métal naissent au tréfonds des peines et des souffrances de leurs créateurs.
Cairn s'écoute en intégralité sur bandcamp.
Excellent album qui vient nous chercher jusqu'au fond des tripes. Déjà avec Yodh, A.L.N. démontrait une maîtrise de son art et une profondeur donner à celui-ci. Avec Cairn, on ne fait qu'aller encore plus loin avec une production impeccable et une montagne-russe d'émotions qui ne peur laisser personne indifférent.