Il est de ces albums qui chahutent votre vie, parviennent à vous saisir sans crier gare pour ne plus repartir. Flûtiste de formation, belge de son origine, Melanie De Biasio a délivré en 2013 un album rare, classieux, une bouffée d'anxiogène dans l'univers du jazz vocal.
No Deal dépeint non sans volupté une atmosphère angoissante imprégnée de noirceur. De son écrin haut perché, à l'abris de la fadeur et de l'indigence cajolée des voix jazzy contemporaines, Melanie invite à l'introspection en nous proposant huit morceaux à la croisée des chemins, là où le risque fait loi.
L'originalité des compositions égrainant No Deal est indéniable. La singularité de son propos tient surtout dans le mélange d'influences, dépassant allègrement l'apparat du jazz. L'on se surprend à y déceler des ressemblances avec les élucubrations psychédéliques de Pink Floyd ou des beats lancinant à la Portishead comme sur I'm Gonna Leave You. Le Jazz pratiqué par Mélanie de Biasio se veut également noir, tel l'opacité rampante d'un fumigène en quête de territoire. Certains morceaux rappellent d'ailleurs l'œuvre de Bohren und der Club of Gore. Comment enfin ne pas penser à Sweet Darling Pain qui pourrait être une magnifique déclaration d'amour à Angelo Badalamenti, chef d'orchestre génial du Twin Peaks de David Lynch. Des les premières secondes, les rideaux rouges encerclent notre imagination, enfermés que nous sommes au sein de la Red Room tandis que le nain malicieux se déhanche sous nos yeux brumeux. C'est cet amalgame d'approches qui confèrent à No Deal une maturité étonnante pour un deuxième album.
Le charisme étincelant de la jeune chanteuse illumine le disque d'une orfèvrerie enchanteresse. De cette voix surannée s'exhibent les bribes de vie enfouies qui animent, enchantent et batifolent. Se drapant d'un aplomb remarquable, Melanie embarque l'auditeur dans un voyage vers le passé glorieux du vocal jazz, où les immenses Nina Simone et Ella Fitzgerald lancent un regard inquisiteur à l'encontre de cette nouvelle venue. Seulement lorsque ce genre de classe naturelle m'interpelle et m'éblouie, mon attente correspond à ma surprise. Seul véritable regret à l'écoute de cet album, c'est bien ce sentiment d'inachevé dans la folie. Elle est pourtant bien là, sous-jacente, prête à bondir et à s'amouracher de l'auditeur en quête d'instants éternels... Mais ses griffes ne sont pas encore suffisamment acérées à mon goût. Mélanie dispose bien d'une palette artistique et d'une audace terriblement excitante dans la composition, mais pourrait aller plus loin dans les terres inconnues qu'elle nous permet d'entrevoir ici.
Les trente quatre minutes de ce No Deal ne sont toutefois pas matière à tatillonner. Il s'agit bien d'un plaisir exquis auréolé d'une dimension pop à chaque instant entraînante. Parvenir à faire swinguer les ténèbres est un défi des plus périlleux relevé ici haut la main. Mon attention est maintenant toute dévouée à la suite de votre carrière. Continuez à nous ensorceler : l'ombre vous va si bien, Melanie...