Pour un groupe de Heavy Metal établi de longue date, se contenter de sortir des clones plus ou moins inspirés de ses gloires passées a tendance à marcher : il suffit de capitaliser sur un line-up éprouvé et des hordes de fans qui se masseront quoi qu'il advienne aux concerts. Alors quand ce groupe a le cran de sortir un concept-album symphonique dans la deuxième moitié des années 2000, au risque de s'aliéner lesdits fans, réfractaires à la musique symphonique ou tout simplement au changement... ça a tendance à surprendre.
La description évoquera sans doute Judas Priest et leur Nostradamus sorti en 2008, mais allons plutôt voir de l’autre côté de l’Atlantique l’année précédente : on parle bien de Manowar. Présenté à l'origine comme le premier d'une série d'opus consacrés à des dieux guerriers issus de différents panthéons, ce Gods Of War en est finalement le seul représentant, l'idée ayant été abandonnée par la suite. Il se base sur la mythologie scandinave et se concentre plus spécifiquement sur Odin, dieu de pas mal de choses dont, justement, la guerre.
Cela étant posé, passons à ce qui nous intéresse : la musique. Le disque présente trois composantes essentielles qui s'offrent tour à tour à l'auditeur. D'une, qui dit symphonique dit passages orchestraux et autres chœurs. S'il ne s'agit pas d'une pratique usuelle du groupe, il ne s'aventure pourtant pas là en territoire inconnu, rappelons-nous notamment The Crown And The Ring (Kings Of Metal), ou encore Warriors Of The World et le titre The March dédié à "Richard Wagner, the father of Heavy Metal" (puisqu'ils le disent, on ne va pas prétendre le contraire). En un sens, Gods Of War tout entier constitue une déclaration d'allégeance au célèbre compositeur classique et son Anneau du Nibelung.
Ensuite vient la composante narrative. Là non plus on ne parlera pas de nouveauté, l’exemple le plus marquant étant la participation d'Orson Welles sur Dark Avenger (Battle Hymns). Seule différence dans le cas présent, il ne s'agit pas d'un unique passage mais de plusieurs occurrences réparties ici et là afin de nous dresser un portrait (The Ascension, The Blood Of Odin) ou nous relater quelque bataille féroce (Glory Majesty Unity) avec l'emphase de rigueur.
Et enfin, la composante la plus évidente, la marque de fabrique de Manowar : un Heavy Metal reconnaissable entre mille, ne serait-ce que par la voix d'Eric Adams ou la basse ronflante de Joey DeMaio. Il suffit d'écouter King Of Kings ou Sons of Odin pour s’en convaincre : ce qui a fait leur succès (au-delà de l’imagerie d'un goût parfois douteux) n'a pas disparu.
En somme, rien de fondamentalement nouveau, si ce n'est dans les proportions qui pourront dérouter les puristes, voire les ennuyer s’ils se montrent un peu trop bornés dans leur approche. En effet, y voir un simple disque de Metal auquel on aurait rajouté quelques introductions et interludes superflus, ce serait passer à côté d'une bonne partie de ce Gods Of War et surtout déplorer des longueurs qui n'en sont pas. Certes, il faut attendre près de neuf minutes pour qu'enfin retentisse le premier titre purement Heavy, qui de plus enchaîne aussitôt sur un interlude choral, mais l'intensité est là dès la première seconde. Overture To The Hymn Of The Immortal Warriors, du haut de ses 6 minutes 20, n'est pas à prendre comme une bête introduction mais à apprécier en tant que titre orchestral à part entière.
Sympho, Heavy. Heavy, Sympho. Au départ ces différents éléments ne font que se tourner autour, deux alliés potentiels qui se jaugent mutuellement, et il faudra attendre Gods Of War, point culminant de cette épopée, pour qu'enfin survienne le grand frisson quand se cumulent les puissances des deux genres.
« Down from the sky / Into the fight / Hearts full of rage / Full of thunder and glory
Swords in the wind / Crossing the sky / Lords of doom / Bring an end to their story »
Si les paroles n'ont rien de bien original, il faut admettre qu’elles sont particulièrement adaptées, et si l'ensemble peut laisser une impression de grandiloquence, on ne pourra en revanche manquer ce souffle épique qui règne sur tout l'album, au point de vouloir brandir son épée et rendre grâce au dieu borgne.
Quant à ceux qui préfèrent définitivement le Manowar classique, difficile de leur en vouloir, mais on leur conseillera d’attendre encore un peu avant d'enfiler leur plus beau slip de peau et de retourner écouter Into Glory Ride. Au-delà de l'artwork qui, lui, est tout à fait "Manowar classique", le groupe a aussi pensé aux allergiques des concept-albums avec la piste bonus Die For metal, l'hymne typique pas forcément très recherché mais bougrement efficace, et qui n'a de bonus que son absence de lien avec le reste du disque.
A écouter : comme un tout, sinon King Of Kings - Sons Of Odin - Gods Of War - Die For Metal