M&T@L
Jazz Rock
Hurlant
1- Arzach et son ptéroïde
2- Univers parallèle
3- Le chêne et le roseau
4- Un léopard ne peut pas changer ses tâches
5- Univers parallèle
6- Codex Seraphinianus
7- Le mystère de l'oeuf
8- Univers parallèle
Chronique
« Adapter » musicalement l’univers foisonnant et intrigant d’un magazine culte pour toute une génération de lecteurs était un pari ambitieux. Le mensuel Metal Hurlant a en effet, de 1975 à 1987 puis brièvement au début des années 2000, été un incontournable pour tous les fans de bande dessinée fantastique et de science-fiction. Les planches originales de Druillet, Moebius, Jodorowski, Tardi ou Bilal y côtoyaient chroniques de disques et critiques de polars ou de romans d’anticipation dans un joyeux foutoir mariant styles et points de vue parfois radicalement opposés. Il fallait donc au trio emmené par le bassiste Laurent David un certain esprit d’aventure et une capacité à se perdre dans les méandres d’univers parallèles pour toucher du doigt l’essence du mythe. Après avoir brillamment, sur IK (chroniqué ici), revisité et extrapolé certains des morceaux les plus emblématiques des géniteurs de Master of Puppets, M&T@L adopte ici une approche plus spontanée, arpentant un territoire à la frontière entre Jazz-Rock et Rock Progressif.
Si l’impression générale est celle d’un disque plus décousu que son prédécesseur, même si Hurlant aurait en fait dû sortir avant IK, la démarche prend tout son sens au regard de sa principale inspiration. De la même façon que le magazine pouvait nous faire voyager, d’une page à l’autre, d’un western galactique à une épopée mystique ou à un récit d’angoisse extrême, Hurlant est construit comme une succession de chapitres nous réservant chacun une expérience différente. Seul le fil rouge Univers parallèle, qui fait office de marque-page et nous ramène à l’idée de feuilleton, vient instiller un certain ordre au sein des 45 minutes d’un album qui se veut avant tout un hommage à un groupe d’auteurs résolus à conserver par-dessus tout leur indépendance et leur liberté. Le trio fait preuve d’une cohésion et d’une inventivité remarquables, gardant constamment vivante l’étincelle qui, à tout moment, peut faire partir leur musique dans une direction différente sur des morceaux clairement conçus pour muter une fois interprétés sur scène. La basse de Laurent David et le saxophone de Thomas Puybasset se succèdent, quand ils ne joignent pas leurs forces, pour faire vivre les mélodies. La batterie de Maxime Zampieri, jamais dans la démonstration, même lorsqu’il se livre à l’exercice du solo, tient l’ensemble et permet aux deux autres instruments de laisser libre cours à leurs envies, enrichissant leur son d’effets contribuant à donner davantage d’épaisseur à la musique du groupe.
Arzach et son ptéroïde invoque l’esprit de Jean Giraud (aka Moebius) pour un triptyque tour à tour planant et frénétique, s’achevant dans la contemplation de paysages dont on peine à appréhender l’existence réelle. Encyclopédie surréaliste, le Codex Seraphinianus s’incarne ici de façon plus accessible, au moins au début, avant que le morceau ne donne l’impression, dans le troisième mouvement, de dérailler, remettant en cause nos certitudes. Il faut ainsi rester constamment sur le qui-vive pour apprécier les trouvailles permanentes d’une formation à géométrie variable, comme sur Un léopard ne peut pas changer ses tâches, sur le deuxième mouvement duquel les trois musiciens s’abandonnent à une transe percussive. De cassures en décalages, le rythme devient une glaise modelée au gré de l’humeur, sans qu’aucun passage ne donne l’impression d’avoir été prémédité. Enregistré dans des conditions live, comme en témoignent les quelques voix entendues ici et là, Hurlant parvient, jusqu’au bout, à faire honneur à ceux qui ont un jour décidé que le neuvième art ne pouvait exister pleinement qu’en privilégiant la spontanéité. Abandonnant tout idéal de perfection, un chemin menant facilement à l’aseptisation, au profit d’un monde fait d’aspérités, de faux départs et de doutes, Metal Hurlant a changé la face de la bande dessinée contemporaine. Cet album nous le rappelle, au cas où nous l’ayons déjà oublié.