Magma
Zeuhl

1001° Centigrades
Chronique
Considérer les deux premiers albums de Magma, Kobaïa et 1001 degrés centigrade, mène l’auditeur à se poser rétrospectivement des questions sur le processus de création. Au vu de l’œuvre labyrinthique et pourtant cohérente qui les a suivie, leur enchainement a-t-il été fortuit ou ces deux albums étaient-ils déjà pensés comme des éclaireurs ? Si nous ne nous aventurerons pas à même effleurer des éléments définitifs de réponse, il est toutefois possible d’évoquer ce que 1001 degrés centigrade, à travers son contenu ambitieux, dit de son prédécesseur et semble annoncer de ce qui le suivra.
1001 degrés centigrade ou le vilain petit canard, le petit oublié de la procédure qui n’a ni la chance d’ouvrir la marche d’une discographie foisonnante, ni l’honneur d’en constituer le premier pinacle. L’album a souvent été décrit comme une simple transition entre les balbutiements jazz fusion du groupe et les pièces imposantes de musique contemporaine qu’il composera par la suite, à commencer par MDK, successeur de l’album ici chroniqué. Etiquette facile à accoler sans même avoir porté une attention suffisante à la musique elle-même.
Force est de constater que cet album sonne comme un exercice presque scientifique de dissociation et d’approfondissement des deux pôles de l’identité du jeune groupe. D’un côté, l’aspect purement jazz n’a jamais sonné si proche des influences musicales de Vander et est stylistiquement très ancré dans cette époque d’essor du jazz fusion (qui a vu l’année précédente Miles Davis engendrer le monumental Bitches Brew). Même si 1001 degrés centigrade propose une extension au jazz si particulier de Kobaïa, la perspective ici adoptée est différente : le groupe ne reprend pas ses acquis pour peaufiner un propos, mais bel et bien pour le faire avancer. Kobaïa, double album aux formats de morceaux relativement courts, était une explosion de créativité qui avait parfois du mal à se canaliser. 1001 degrés centigrade, avec ses trois morceaux, va resserrer le propos tout en saisissant fermement le gouvernail de l’esquif Magma.
D’un autre côté, l’aspect expérimental du groupe va de plus en plus loin et défriche des territoires ambiants et bruitistes inédits. A ce titre, cet enregistrement met étrangement en avant certaines sonorités sombres, tribales et menaçantes caractéristiques de ce que le bassiste Jannick Top, autre future figure majeure du groupe, apportera plus tard à Magma. Un rêve prémonitoire ? A travers ces échappées, la musique acquiert ici une maturité, une conscience d’elle-même, et trace avec une assurance confondante un chemin de plus en plus surprenant dont l’auditeur peut commencer à saisir toute l’ampleur. Les compositions s’allongent, se tassent et vont vers une homogénéité croissante, comme en témoigne le bloc "Rïah Sahïltaahk".
Ces deux extrêmes sont très clairement identifiables dans 1001 degrés centigrade et font de l’album une sorte d’entité bicéphale fascinante. Comme si Christian Vander avait décidé de décortiquer son propre être musical afin d’en identifier précisément chaque aspect, les canaliser pour ensuite les dépasser. Si l’album n’atteint pas le souffle de certaines des œuvres qui lui succéderont, il finit en revanche d’en poser toutes les bases. En quelques mots, 1001 degrés centigrade est un album trop sous-estimé dont la richesse et l’importance sont à (re)découvrir. L’œuvre finit par ressembler à un adieu magnifique aux pères spirituels du musicien, qui réussit à la fois à leur rendre clairement hommage et à traverser ce dernier d’une personnalité résolument nouvelle. Magma fonce à toute allure sur son propre chemin en regardant une dernière fois dans le rétroviseur.