Magma
Zeuhl

Kobaïa
Chronique
Le cas de Kobaia est délicat : comment l’appréhender autrement qu’en rapport aux oeuvres qui l’ont suivies ? Si l’on tente de l’analyser hors du reste du corpus Magma, force est de constater que l’album est musicalement tout sauf anachronique. Avec son jazz fusion coloré teinté de psychédélisme rock et de longues plages bruitistes dans la plus pure tradition free, l’album peut faire figure de pendant français aux premiers balbutiements d’un King Crimson. Exercice en vogue à l’époque, mais ici effectué avec une magistrale inspiration, fraîche et bondissante, qui impose d’emblée la vibration de Magma dans le peloton de tête.
Si l’on tente en revanche de mettre Kobaia en parallèle avec le reste de l’œuvre de Magma, deux réflexions viennent à l’esprit.
Tout d’abord, Kobaia n’est pas le non-album de Magma tant décrit ici et là. Comme Merci ou même Attahk l’ont plus tard montré, la musique de Magma est protéiforme, et s’échappe volontiers du style qu’elle s’est elle-même forgée. Kobaia est d’une importance capitale pour comprendre d’où viennent le groupe et Vander en particulier, à mi-chemin entre Coltrane et Debussy, et pour comprendre la manière dont ils se détacheront plus tard de la formalité de ces influences pour n’en retenir que l’essentiel : la liberté. Ici et là, les prémices de la future esthétique de Magma font leur apparition : cris stridents de Vander, structures répétitives et obsessionnelles, chœurs, mantras kobaiens, etc.
Ensuite, cet album montre que la situation de l’entité Magma est particulière : la forme (l’esthétique, la symbolique), préexiste au fond (le développement des thèmes). Là où de nombreux groupes laissent mûrir leur identité sonore, visuelle et thématique à mesure qu’ils construisent leur œuvre, Magma impose d’emblée un cri primal et libérateur, un signe de ralliement, une mise en garde. Le groupe est à l’image du kobaien, cette langue fictive née par hasard pour des raisons purement esthétiques, ensuite devenue système réfléchi. La pensée ne précède plus l’acte, c’est bien l’acte lui-même qui devient créateur, sorti de nulle part et détaché de tout calcul. L’acte de création n’a pas à se chercher une justification : il est sa propre justification. L’entité Magma existe parce qu’elle a été énoncée, invoquée, et son premier mérite est cette existence-même et toute la liberté qu’elle revendique. Sortie de l’ombre, elle pose les bases de l’imagerie et des thématiques du groupe, le carcan dans lequel la musique va trouver son espace. Kobaia, ou la puissance du symbole, la première pierre d’une œuvre totale dont l’aspect musical n’est qu’une facette parmi d’autres. Œuvre narrative, visuelle, fantastique, philosophique, métaphysique.
Kobaia, c’est un graffiti rageur sur le mur d’un establishment musical formaté, qui place Magma en position d’outsider au sein-même des outsiders. Ainsi, au beau milieu de la vague musicale contestataire de la fin des années 60 qui baigne dans un psychédélisme décomplexé et multicolore, Magma débarque avec une imagerie sombre et occulte. Son artwork culotté, qui joue la carte guerrière et oppressante, lâche un imaginaire de société secrète comme un pavé dans la mare. Kobaia, ou l’art d’exprimer une contestation totale, quitte à se retrouver seul sur le champ de bataille. Ce sera là le destin de Magma, ovni solitaire évoluant en tête à tête avec son intransigeance artistique, souvent à ses propres dépends.
Victor Hugo disait : "La musique c'est du bruit qui pense", je crois que cet album resume cet phrase... INDESCRIPTIBLE. A ecouté, ensuite on peut mourir heureux à placé à coté des albums cultes.