De l’eau a coulé sous les ponts depuis la dernière fois qu’un disque de Locktender a été chroniqué sur notre site, il y a six ans. Une poignée de splits mais surtout désormais trois LP qui s’inscrivent dans une démarche commune : chaque disque se focalise sur l’œuvre d’un artiste tandis que chaque morceau trouve son inspiration dans l’une de ses œuvres. Après Kafka et Rodin, c’est ainsi au tour du peintre allemand Caspar David Friedrich de servir de point de départ à ce nouvel album concept. Il faut dire que les peintures de Friedrich, « cet homme qui a découvert la tragédie du paysage » s’accordent particulièrement bien à la musique de Locktender : des paysages chaotiques, souvent hivernaux, dans lesquels la nature semble toute puissante et l’homme bien solitaire. Le livret qui accompagne le vinyle met ainsi en regard les œuvres picturales et les paroles, permettant à tout un chacun de visualiser les sources d’inspiration et de mieux comprendre les intentions du groupe.
Histoire de filer la métaphore, Friedrich pourrait être qualifié de trompe-l’œil. Non pas parce qu’il ne donne qu’une impression de relief, bien au contraire, mais parce que, malgré les quatre années qui le séparent de son prédécesseur, il s’intègre naturellement dans la discographie du groupe. A un tel point que de prime abord cela en devient suspect. Mais quelques écoutes croisées avec une replongée dans les précédents opus permettent de se rendre compte que continuité n’est pas reproduction. On retrouve donc cet enchaînement de pièces fuyant toute idée de linéarité, ce Post-Hardcore qui puise sa charge émotionnelle dans un relent de Screamo qui trouve ses racines dans celles du groupe, quand il s’appelait encore Men As Trees.
C’est en effet leur dimension émotionnelle qui font se rejoindre les passages les plus brutaux, ceux les plus lents ou encore ceux desquels émane un sentiment de fragilité. Il n’y a ni haine ni violence dans la musique de Locktender. Porte-parole des troubles de l’âme humaine, le chant de Nick se fait plus magistral que jamais. Si l’on met de côté les cœurs un peu hasardeux et dispensables de The Monk by the Sea, c’est bien la section vocale qui concentre l’attention et cristallise la charge émotionnelle, portée par la vague de fond des parties instrumentales. On retrouve là, dans un registre différent, tous les ressorts de la musique de The Saddest Landscape. Du caverneux le plus abrasif, le chanteur est capable de passer en un instant au chant clair le plus limpide, comme sur Seashore with Shipwreck by Moonlight représentatif de cet équilibre trouvé entre calme et fureur.
Que ce soit avec un The Chasseur in the Forest tout en tension contrôlée ou avec un The Abbey in the Oakwood où les furieuses résurgences Screamo viennent se muer en une douloureuse complainte, on est porté de bout en bout par ce Friedrich, comme balancé par la puissance des vagues qui l’ouvrent et le clôturent. De l’eau a coulé sous les ponts…
Friedrich est écoute et en téléchargement gratuit sur Bandcamp.
A écouter : The Chasseur in the Forest, The Abbey in the Oakwood