Leprous n'en fini pas de muter. Les Norvégiens nous ont pourtant habitués à leurs prises de directions inattendues : il y a un monde entre Bilateral et Coal, Malina abandonne officiellement le chant hurlé... Pourtant, Leprous n'a jamais terminé d'évoluer. Si vous pensiez que la formation s'était "trouvée" avec le Metal léché et mélancolique de Malina, soyez prêts à être surpris, car la bande à Einar Solberg continue d'avancer avec un Pitfalls que personne n'a vu arriver.
Alors, qu'est-ce qui change tant ? Le groupe continue dans la direction prise sur l'effort précédent, mais pousse sa démarche bien plus loin qu'on ne pouvait l'imaginer. En effet, on n'assiste plus vraiment à du Metal sur ce nouveau cru. Quasiment aucune guitare acérée ne vient alourdir les compositions éthérées, et les rares riffs (l'introduction de By My Throne par exemple) évoluent vers des ambiances sophistiquées. Les six-cordistes privilégient des approches plus subtiles, toujours au service d'une atmosphère mélancolique, et laissant à la basse et à la batterie le champ libre pour créer des rythmiques créatives et intelligentes. Le jeu insaisissable et adroit de Baard Kolstaad, derrière les fûts, est réellement un des acteurs principaux de ce nouvel album, pour son rôle prépondérant dans l'habileté générale de l'opus. Au final, Pitfalls donne l'impression d'avoir été composé "pour" Leprous, mais "par" Archive, Björk, et Radiohead.
Pour autant, tout n'a pas changé. Dans chaque titre on reconnait bel et bien la patte caractéristique de la tête pensante des Norvégiens. Bien entendu, le chant clair est toujours reconnaissable entre mille, cette voix juste mais fébrile, souvent poignante dans son intimité mais parfois spectaculaire (les fins de Distant Bells ou de Alleviate). On retrouve aussi la dimension sombre, torturée, une autre caractéristique habituelle de la musique de Leprous. Même l'aspect progressif du groupe est toujours illustré dans Pitfalls, grâce aux grooves intriguants et délicats du batteur, mais aussi structurellement, dans les constructions de certains titres. Le plus évident est The Sky Is Red et ses onze minutes, avec un solo de guitare au milieu (chose rare chez ce groupe) et son outro syncopée et menaçante qui est l'un des seuls rappels au passé du groupe (avec Foreigner qui dénote tellement qu'on la croirait sortie de The Congregation). Mais d'autres passages aussi sont évolutifs et progressifs, on remarquera les développements dans Alleviate ou Distant Bells, des gradations qui aboutissent à des climax d'émotions.
Comme je voudrais ne pas avoir à figer une note sur cet album... Pitfalls est très loin du disque que j'espérais de Leprous, et je pense que leur période que je préfère est maintenant derrière eux (même si à la lumière de ce nouvel opus il est désormais prouvé qu'il est impossible de prévoir la teneur du prochain opus, alors qui sait ?). Pourtant, il m'est objectivement impossible de nier à quel point le groupe sort de sa zone de confort sur Pitfalls, impossible de nier que ces prises de risque sont de vrais succès, impossible de nier que le groupe évolue tout en conservant ce qui le définit, impossible de nier à quel point ce disque est une réussite, même si ce n'est pas celle que je voulais. Leprous arrive à forcer mon admiration alors que je ne suis pourtant pas complètement convaincu, et j'imagine que c'est une preuve irréfutable de la beauté et de la puissante de ce Pitfalls. Chapeau bas, messieurs ; une fois de plus.
Pourquoi je ne découvre le groupe qu'en 2019 ? sûrement pour profiter au maximum de ce chef d’œuvre qu'est Pitfalls.