Sans avoir honte de se fondre dans une mouvance qui prend souvent un air de sables mouvants et de frôler les clichés sur chaque riff, le premier album de La Dispute, Somewhere at The Bottom of the River Between Vega and Altair, s'aborde d'abord sous forme de comparaisons (ici Thursday, là Native; deux groupes avec lesquels le groupe part en tournée). Pas la meilleure manière d'approcher un disque, certes. Pas forcément la pire non plus: mieux valent des comparaisons flatteuses qu'un air de rien.
Recette connue, arpèges entendus, Somewhere at The Bottom... a un arrière-goût très prononcé de mewithoutYou. Mêmes pleurs, même rage dans la voix de Jordan Dreyer que dans celle d'Aaron Wiess. Un phrasé parfois similaire, où se bousculent les mots qui débordent de peine ("Said The King to The River", "Andria" qui sonnent les plus mwYiennes de l'album), où les invectivent se disputent aux plaintes profondes. La voix de Wiess a pour elle ceci d'enthousiasmant qu'elle entraine à elle seule le reste des instruments, que ce soit dans des spoken words marmonnés ou dans de vigoureuses imprécations. Dreyer, au contraire, semble constamment en lutte pour maintenir un niveau difficilement acceptable. Les variations vocales (chant clair, cris) sont mal maîtrisées, exagérant à outrance ("Bury Your Flame"), dérapant trop souvent devant l'efficacité des instruments. Il faut un temps pour s'y habituer, pour la digérer; la tristesse d'une rupture ne peut définitivement pas tout expliquer.
Au contraire, ce qui fait l'intérêt du combo, c'est cette rebellion juvénile des instruments devant le dramatique adolescent d'une situation convenue. Les riffs sont pesés, efficaces ("Then Again, Maybe You Were Right"), la rythmique, hachée, marque par sa sécheresse. La Dispute se laisse aller, comblant son manque de technique et certaines transitions mal négociées par une certaine imagination de la lead guitar ("Andria" mélodiquement lumineuse) et une volonté d'aller jusqu'au bout de son propos sur chaque morceau quelque soit le format; le point culminant étant sans doute les 12 minutes de "The Lost Continent" qui emprunte un virage Post, tout en montée, avant d'exploser dans des choeurs fraternels façon Modern Hardcore. On y revient, le temps d'une phrase: c'est peut-être là où le débit de Dreyer est le plus signifiant, le plus proche de ses émotions. Le brossage des styles, en vogue en ce moment, parvient cependant à ne pas dévier les Américains de leur route. Il est, quelque part, bienheureux qu'ils n'aient pas poussé plus loin leurs expérimentations tant on sent qu'ils sont déjà arrivés au bout de leur savoir-faire.
Ce qui ne remet aucunement en cause la qualité de Somewhere at The Bottom..., qui est justement là où on l'attend: les lyrics, à défaut d'être fins, sont justes et la musique retient l'attention quand virevoltent les guitares, quand elles ne s'arrêtent qu'à regret pour clôre un chapitre. Ca peut augurer du bon; mais les clichés ont la vie dure. Surtout quand l'étincelle n'est pas si évidente que ça.
A écouter : Andira - The Lost Continent - Said The King to The River