En trois albums, La Canaille a su creuser le sillon d’un succès certain. Revendiquant avec fierté leur appartenance à la scène indépendante, ils enchainent depuis leur premier album, en 2009, des compositions à la colonne vertébrale sinueuse, quelque part dans la fusion entre le Hip Hop et le Rock. Politiquement engagé, le groupe développe une ligne directrice où les mots acides viennent s’apposer sur l’obscurité d’un temps, le notre. La Nausée ne déroge pas à la règle.
Alors que les dernières secondes de La Nausée s’égrainent, voilà que ma conscience revient à elle-même. Avachi sur mon fauteuil, le regard embrumé, perdu dans un vide réflexif, me viennent ces mots : « La vache ! Ce truc est plus Doom que du Doom ! ». Archétype de l’album qui ne laisse pas indifférent, La Nausée n’a pas volé son patronyme. Le groupe ne m’était pas inconnu : ses précédents efforts prenaient de temps à autre d’assaut mes enceintes pour ne les quitter que quelques jours plus tard. Car oui, La Canaille est le genre de groupe à laisser des traces de suie après chaque écoute, la gueule amochée, comme sur la pochette. Une certaine disposition mentale et psychologique s’avère nécessaire pour s’y plonger, mais surtout pour en sortir.
L’album gronde et rutile, saccage, tranche, lacère et éviscère une société moderne qui peine à trouver ses repères. Agissant tel un miroir maudit, témoin clairvoyant des injustices et des peines, La Canaille prend un malin plaisir à étaler à votre face le merdier contemporain.
De la bourgeoisie au porno, en passant par l’identité, la pauvreté, la vie de couple ou la musique actuelle : les thèmes traités sont larges mais jamais sans vindicte. Les mots sont durs, froids, directs. Mélangeant allègrement Hip-Hop et Spoken Word, La Canaille secoue l’auditeur par le biais d’orchestrations, comme d’habitude, particulièrement travaillées. Parfois érigés en hymnes (Redéfinition, Jamais Nationale, Briller dans le noir), parfois dans l’obscurité et les cris (Omar avec en featuring Serge Teyssot-Gay, co-fondateur de Noir Désir), les morceaux offrent un ensemble d’ambiances s’accoquinant avec le Rock, le Trip Hop ou la musique électronique. Le quatuor se joue donc des genres sur lesquels il construit un argumentaire en forme de coup de poing dans la gueule. « Mon identité ne sera jamais nationale », « Regarder mourir l’amour et s’endormir dessus », les punchlines sont légions, virulentes et efficaces. Marc Nammour, dont la voix est aussi grave que le propos, démontre l’étendue de son talent de narrateur, celui qui captive et anime. Si l’on aurait aimé que plus de compositions prennent un envol aussi fort que sur Omar, l’album jouit toutefois d’une qualité d’écriture et d’une production excellentes.
La Canaille c’est ce ressenti après avoir porté un regard glacé sur un SDF qui demande la parole. La Canaille c’est ce monde qui n’a plus les yeux en face des trous. La Canaille c’est un cri, une rage susurrée contre l’indifférence. La Canaille c’est le poids des maux dans une société en quête de son étendard. Suivons le guide.
A écouter : A tête reposée.