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Biographie
On ne sait si c'est le premier banjo qu'il a reçu à 14 ans ou la crinière insondable qu'il arbore qui a plongé Kurt Vile dans le monde Indie des années 80, Pavement et Smog en tête. Toujours est-il que le gamin de Philadelphie s'est montré précoce lorsqu'il s'agissait de gratouiller de la six cordes. Après une première cassette, enregistrée à 17 ans dans sa chambre et auto-produite, Kurt Vile rencontre Adam Granduciel avec lequel il forme les psychédéliques The War On Drugs en 2005. Il faut néanmoins attendre trois ans pour que le groupe sorte son premier disque (Wagonwheel Blues, 2008). A cette même époque, Kurt Vile sort son premier vrai disque solo, Constant Hitmaker, et quitte The War On Drugs, pour se concentrer sur ses propres sorties. Nullement fâché, Granduciel accompagne jusqu'en 2011 son ami sur ses tournées avec le backing band The Violators.
Si le premier album de Kurt Vile avait cette tendance cra-cra des autoproductions, Childish Prodigy, son deuxième disque et le premier avec Matador, se fait plus propret. Le label permet également à Kurt de tourner avec Dinosaur Jr, Fucked Up ou encore Thurston Moore. La notoriété se gagnera néanmoins pleinement avec Smoke Ring For My Halo (2011), composé d'une dizaine de balades crépusculaires, majoritairement écrites à l'acoustique.
Wakin On A Pretty Daze, sorti en 2013, porte encore plus loin le talent de songwriter de Kurt Vile, rappelant notamment les fantômes de Bob Dylan et de Neil Young. C'est à ce jour son album le plus lumineux. En 2015, il revient avec B'lieve I'm Goin Down avant de sortir en 2017 un album commun avec l'Australienne Courtney Barnett, Lotta Sea Lice. En 2018, il enchaîne avec Bottle It In.
On a tous besoin d’un Kurt Vile dans nos vies. On a tous besoin de ce pote, un peu lunaire mais brillant par moments, conscient de ses capacités mais également de la futilité de la vie quotidienne, qui nous pousse à prendre du recul sur les choses et à s’arrêter quand tout semble aller trop vite autour de nous. On a tous besoin de tout envoyer balader pendant une heure ou deux, le temps de laisser la rêverie et l’ennui reformater notre cerveau… Heureusement pour nous, Kurt Vile a cette fois-ci décidé de nous accompagner un peu plus longtemps que de coutume dans ce processus en nous offrant un double album. Un an après sa collaboration fructueuse avec l’Australienne Courtney Barnett (chroniquée par ici), le natif de Philadelphie joue la carte de l’introspection avec un disque méditatif, désabusé mais jamais pessimiste, inspirant sans être donneur de leçons.
Sa longueur rend Bottle It In un peu plus difficile d’accès que les sorties précédentes de Kurt Vile. Le prérequis est d’accepter de se perdre au milieu des arabesques d’un album qui joue à plusieurs reprises la carte de la répétition et qui n’hésite pas à traîner en route, certainement pour être sûr de n’oublier personne sur le chemin. C’est en toute décontraction que le cofondateur de The War On Drugs balance pêle-mêle morceaux attendus (Loading Zones, One Trick Ponies, Yeah Bones) et titres plus "expérimentaux"(Check Baby, Cold Was The Wind). L’Indie-Folk de Kurt Vile reste fidèle à ses principales influences (Neil Young, Bob Dylan, Pavement…) mais semble cependant évoluer très lentement vers une musique plus aventureuse. Les ajustements se font à son rythme, c’est-à-dire celui d’un musicien pressé de rien mais curieux de tout.
Hypnotisant dès qu’il étire ses morceaux (le très cool Bassackwards, l’envoutant Bottle It In, l'épuré Skinny Mini), Kurt Vile fait les choses comme il l’entend, mettant toujours les guitares au centre de son oeuvre. Acoustiques, électriques, elles portent des compositions tour à tour joyeuses, touchantes et fatalistes, n’hésitant pas à aller toucher aux angoisses profondes de leur auteur ("The mutinies in my head keep staying. I take pills and pills to try and make ’em go away").
Bottle It In pourra frustrer les partisans d’un Kurt Vile plus direct et efficace. Ceux-ci auraient cependant tort de ne pas tenter l’aventure, de ne pas se laisser happer par un disque qui mérite grandement que l’on prenne le temps de s’y promener, quitte à le faire par étapes, pour comprendre où il tente de nous emmener. Bottle It In est un album à contre-courant, anachronique et pourtant attirant. Qu’il est rassurant de pouvoir, de temps en temps, compter sur cet ami pas comme les autres…
La vie ne mérite pas que l’on s’en fasse trop pour elle…telle est la conclusion qui s’impose à l’écoute de chaque nouvel album de Kurt Vile. L’ancien membre de The War on Drugs n’a pas son pareil actuellement pour pondre des disques à la fois paresseux en apparence et inspirés, où le fatalisme affiché n’empêche pas une certaine dose d’optimisme et de bonne humeur. Deux ans après le remarqué (et remarquable) Wakin’ on A Pretty Daze, il revient plus décontracté que jamais avec B’lieve I’m Goin’ Down, nouvelle tentative pour fuir une réalité qui, si elle semble lui paraître écrasante, lui permet d’exprimer de façon juste et apaisée des angoisses auxquelles nous sommes tous confrontés.
Sans jamais se prendre au sérieux, avec ce qu’il faut de mélancolie et de déprime dans sa voix trainante, Kurt Vile nous offre une heure de soin qui pourrait tout à fait être remboursée par la sécu. L’enjoué Pretty Pimpin qui ouvre l’album nous plonge tout de suite dans un état second, entre doute existentiel ("I woke up this morning / Didn’t recognize the man in the mirror / Then I laughed and I said / Oh silly me, that’s just me") et aspiration au bonheur ("All I want is to just have fun / Live my life like a son of a gun"). Une sorte de thérapie joyeuse et décomplexée en gros… Les guitares, qu’elles soient acoustiques ou électriques, sont au centre des compositions et bénéficient d’un traitement particulièrement réussi. Les racines de ces morceaux s’enfoncent profondément dans la musique folk nord-américaine, Neil Young et Bob Dylan ne sont jamais très loin (That’s Life Tho, Stand Inside, Kidding Around), Wilco non plus (Dust Bunnies). Lorsque pianos et claviers arrivent à leur tour, ils teintent les mélodies de couleurs plus vives (le doux-amer Life like This, l’entraînant Lost my Head There ou l’instrumental Bad Omens). La beauté nue du magnifique All in a Daze Work invite, elle, à l’abandon face aux forces qui nous dépassent ("She come flying through like a traveling gypsy show tornado / Leaving us lying there bleedin’ / Cut wide open, hearts broken").
Si le désespoir semble à première vue habiter nombre de ses chansons, Kurt Vile réussit pourtant à en extraire de façon presque systématique une lueur d’espérance, comme si la seule issue possible était de se résigner totalement à son sort (a-t-il lu Camus ?) et d’arrêter de courir vainement après l’inaccessible. Cette urgence de ralentir se fait sentir jusque sur les derniers accords de Wild Imagination, avec son "Give it some time" répété tel un mantra. Un message à méditer, chaque jour, lorsque le monde autour de nous s’emballe et nous fait oublier qu’il est bon, parfois, de se contenter de contempler ce qui nous arrive sans chercher à y changer quoi que ce soit.
A écouter : Sans rien faire d'autre
Kurt Vile est un homme à la force tranquille. Un family guy bien entouré, comblé pourra-t-on même dire. Cela se ressent ouvertement sur ce Wakin on A Pretty Daze, apaisé, et l'album le plus lumineux de sa discographie.
L'enfant terrible de The War on Drugs a bien grandi, qui poursuit sa discographie avec une nonchalance déroutante. Entouré d'un halo d'insouciance, il offre le sentiment que rien ne peut lui arriver. Le titre d'ouverture, "Wakin on A Pretty Day", est de ces morceaux qui se dégustent avec le café du matin, les yeux dans le rayon lumineux qui vient traverser la fenêtre pour mourir sur la nappe à carreaux de la table. Le temps s'arrête et on en profite. A peine peut-on d'ailleurs lui reprocher de prendre le sien, rien ne presse. On le croirait presque en rédemption, prenant conscience de ses nouvelles responsabilités : "I will promise to do my very best / To do my duty / For God and my country / I will promise not to smoke too much and / I will promise not to party" sur la touchante "Too Hard" adressée à sa fille tout juste née. Les arrangements sont au diapason, cotonneux comme les langes. Plus aéré, plus varié que le - pourtant déjà très bon - Smoke Ring for My Halo (2011), Wakin on A Pretty Daze symbolise le disque de l'homme tranquille, sa carrière n'est pas en jeu, c'est un homme peu médiatique et pas du tout politique.
Les balades folk de Kurt Vile commencent là où se sont arrêtées celles de Bob Dylan et early Neil Young dans un autre temps. Ses déambulations électriques servent des histoires banales, égrainées dans la distance d'une voix effacée, un peu nasillarde, mais toutes portées par des mélodies bienheureuses ("Kv Crimes", 'Same Chamber"). D'abord massif (il présente plus d'une heure au compteur), Wakin on A Pretty Daze s'approprie pourtant facilement. Alternant des morceaux plus directs, ("Never Run Away", l'électrique tempête "Snowflakes Are Dancing") et des titres plus complexes comme la clôture sur "Goldtone" où Vile laisse échapper son penchant synthétique pour un final en roue libre, le disque révèle l'étendue d'un homme complet, fourmillant d'idées encore à naître.
Après le succès d'estime rencontré par Smoke Ring..., Kurt Vile devrait ici sans aucun doute trouver son public en masse. Wakin on A Pretty Daze, album lazy pour gens cools, renferme tant d'humeurs qu'il est facile de se perdre dans ses méandres, un sourire au coin des lèvres et en fermant les yeux pour ne les rouvrir qu'à la dernière note.
A écouter : Allongé dans l'herbe
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