Bêtes curieuses du hip-hop souterrain, Crescent Moon (MC) et Anatomy (Producteur/DJ) composent, sculptent Kill The Vultures depuis 2005 et sont toujours restés fidèles à une formule plutôt rare dans le genre, à disposer dans une dimension intermédiaire, sur des latitudes proches de Dälek et Antipop Consortium. Flow équilibriste, utilisation de samples multi-instrumentaux et jazzy (batterie, contrebasse et saxophone parmi d’autres), ambiance organique et souvent vaporeuse, le premier album sans titre contenait ces ingrédients, comme les suivants, et le reptilien dernier long format n’y échappe pas, le délire ayant largement évolué, dans le bon sens créatif du terme.
Tandis que le très fameux Ecce Beast faisait la part belle aux instruments à vents, aux violoncelles et aux mots parlés, Carnelian accède sans pression à la marche du dessus, définissant avec plus grande précision les contours d’une musique habitée, enrichissant une palette de sonorités déjà bien fournie. En dehors de l’évidente excellence du fond, ce qui fait le charme irrésistible de Kill The Vultures en 2015 c’est aussi la chaleur permanente du rendu, procurant une certaine facilité d'écoute, bien que le propos soit globalement plutôt désabusé, décharné, voire exorcisant ("Shake you bones, rattle your nerves, chase the devil out").
Le binôme atteint ici des sommets d’inspiration, l’instrumentation s’harmonise et bombe le torse, intégrant quelques violons dingues dans le processus, ou revenant à des amours orientales à base de flûte sur l’envoûtement instantané de Topsoil, suivi de la manière la plus naturelle du monde par un Broke jouissif de dissonance au piano, habillé de percussions et de contretemps délicieux. Ce quatrième album est l’occasion pour les gars de Minneapolis d’installer une véritable jungle sonore, où les instruments s’envoient des signaux constamment, semblent se répondre et se faufilent en zigzag à travers la végétation touffue, portés par une voix et des textes charmeurs, hallucinés ou nauséeux (Smoke In The Temple, Don’t Bring The Devil Out), si ce n’est carrément pétrifiants (Coins On The Open Eyes, Crown et ses cris d’effroi), des instants de malaise délectable qui ne dénoteraient pas chez Oxbow par exemple.
La pertinente beauté de Carnelian est sans précédent, Kill The Vultures a livré son disque le plus riche, le plus abouti, le plus organique et possédé, le plus tout en fait. Une prouesse stylistique qui témoigne que ce hip-hop là n’a pas fini de muer, de s’étoffer pour mieux nous étouffer, avec consentement revendiqué.
A écouter : en lézardant.